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La Chute d'Icare
Description
Dans une vue plongeante, le regard s'arrête d'abord sur les personnages : un paysan qui laboure son champ, un berger appuyé sur son bâton, un pêcheur de dos qui tend son fil. Le rouge de la blouse du laboureur et de l'echarpe du pêcheur attire l'attention sur leurs occupations. Quand les yeux peuvent s'en détacher, on découvre la profondeur de l'espace quasi infini. À l'horizon, le soleil forme un disque qui irradie et unit le violet du ciel à l'émeraude de la mer. Les montagnes qui bordent celle-ci paraissent irréelles, blanches et légères, comme le port qui s'éveille dans une lumière rose.
L'esprit se plaît à admirer ce paysage harmonieux et paisible mais l'œil, irrésistiblement revient au rouge sang du premier plan, vers ce paysan absorbé par sa tâche. Nous le voyons de biais, la scène étant construite en diagonale et l'impression d'un travail continu, méthodique, en train de se faire, en est accentuée. Derrière lui, les taches claires des brebis guident le regard vers les voiles beiges du navire qui passe. Il est temps alors de découvrir les « détails » de cette scène quotidienne : près du bateau, devant le rocher, la mer se ride et deux jambes s'agitent : Icare est en train de se noyer dans l'indifférence de l'entourage et de la nature. Icare, coupable de s'être approché un peu trop près du soleil, qui a cru braver les lois de la gravité et de la condition humaine, plonge dans le vert émeraude profond et personne ne le remarque. Pas même la perdrix dont le regard vague et lointain rappelle celui du berger qui tourne le dos au drame.
Toutefois la version conservée au musée Van Buuren montre également le père d'Icare, Dédale, en plein vol: on comprend alors que le berger debout est absorbé dans la vision de cet être extraordinaire, qui est absent de la version conservée aux Musées royaux en supposant que cette dernière a conservé ses dimensions d'origine.
Analyse
Le peintre illustre un passage des Métamorphoses d'Ovide :
« Un pêcheur qui taquine le poisson du bout de sa gaule flexible, un berger appuyé sur sa houlette, un laboureur guidant sa charrue les voient passer tous deux. Étonnés, ils prennent pour des dieux ces hommes capables de voler dans les airs. Déjà, sur leur gauche, a disparu Samos, aimée de Junon; ils ont dépassé Délos et Paros; sur leur droite apparaissent Lébinthos et Calymné, célèbre pour son miel, lorsque l'adolescent, enivré par la sensation audacieuse du vol, s'écarte de son guide. S'abandonnant au vertige des cieux, il gagne de l'altitude. C'est là qu'à l'approche du soleil ardent, la cire odorante qui maintient les plumes devient molle. Elle fond. Icare a beau agiter ses bras nus : privé d'ailes, il ne se soutient plus dans le vide. Il appelle son père, puis disparaît dans l'azur des flots de cette mer que l'on nomme depuis mer Icarienne. »
— Ovide, Les Métamorphoses, livre VIII
Comme souvent, le peintre prend l'inverse de la tradition, l'envers des choses et distille discrètement son ironie. Si les personnages d'Ovide sont représentés pour la première fois, l'essentiel est inversé : les gens à l'aube d'une journée de travail, sauf le berger qui regarde le ciel, n'ont pas de temps à perdre avec l'ambition d'un fou ou d'un rêveur. Il faut ensemencer et pêcher, il faut retendre les cordages afin que le navire, comme la vie, avance vers la lumière ou l'or philosophal, selon une lecture ésotérique.
Stoïcien et humaniste, Brueghel exprime l'accord de l'homme avec les lois de l'Univers dont il n'est qu'une petite partie. À l'avant-plan, l'épée et la bourse, posées près du laboureur, évoquent un de ces proverbes populaires que Brueghel a illustrés dans d'autres tableaux : « Épée et argent requièrent mains astucieuses. », van Lennep.
Pierre Francastel[10] développe une autre théorie qui a le mérite de situer le peintre dans le contexte historique de son pays. Icare incarne aussi le courage, l'aventure positive de ceux qui osent. Prisonnier de Minos, il a la volonté de s'enfuir et l'audace d'essayer. C'est l'ingéniosité de son père, Dédale, qui lui en fournit le moyen. Son seul « défaut » est de succomber à la griserie de la réussite. Il est jeune encore. Dédale reste le forgeron, l'artiste et le créateur génial. Au XVIe siècle, le mythe trouve un écho dans ce pays sous domination étrangère : c'est l'appel de la liberté et le rêve d'évasion… La vie continue, oui mais les questions restent posées : toute tentative libératrice est-elle voué à l'échec ? N'y a-t-il plus place pour le rêve ? L'indifférence n'est-elle pas l'écueil le plus dangereux pour l'aventure humaine et le progrès ?
L'œuvre pourrait être une condamnation ironique de la vanité d'Icare, figure qui apparaît souvent dans les livres d'emblèmes comme un exemplum de l'orgueil, au même titre que Phaéton ou Nemrod (voir La Tour de Babel et L'Orgueil dans la série des Sept Péchés capitaux). C'est pourquoi Robert Baldwin, analysant l'iconographie du tableau, a pu voir dans la figure du laboureur au premier plan une allégorie de l'espoir[11] ou de l'espérance, qui s'opposerait alors à l'allégorie de la chute, écho de la chute originelle qui compose l'arrière-plan des souffrances de l'homme déchu, condamné à se racheter par son travail. W. H. Auden, dans son poème Icarus, est plus sensible à une certaine indifférence des hommes et de la nature face aux tragédies individuelles[12]. La structure du tableau suggère aussi la séparation en diagonale du rêve et de la réalité.
La Chute d'Icare est pour l'historien d'art français Norbert-Bertrand Barbe[13] le symbole typologique repris de la mythologie gréco-romaine du Péché originel dans les livres d'emblèmes contemporains, ses motifs en sont dans la toile de Brueghel : les formes du travail humain (rurale et maritime), conformément à la description classique de celles-ci[14] et la mort par l'évocation de l'éphémérité du pouvoir terrenal (représenté par la tiare et l'épée au milieu du champ, qui renvoient à l'iconographie des Danses Macabres, dans lesquels la Mort enlève même les riches, le Pape et l'Empereur, reconnaissables à leurs attributs).
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La chute d’Icare par Pieter BRUEGHEL l’ancien
Pieter Brueghel ou Bruegel l’Ancien 1525- 1530 figure principale de l’école d’Anvers, aura deux fils Peter Brueghel et Jan Brueghel (dit Jan de velours) Fils de paysan, élève de Van Aelst (peintre romaniste) très influencé par Jérome Bosch dont il a reproduit plusieurs tableaux, il voyage en France et en Italie, fréquente les humanistes. Premier peintre à peindre la classe paysanne
La chute d’Icare 1558 / Musées royaux des beaux arts Bruxelles 73,5cm x 112cm / Inspiration de la légende d’Icare : pour avoir trahi son protecteur le roi de Crète, Dédale est enfermé avec son fils Icare dans un labyrinthe inextricable qu’il a lui même conçu quelques années plus tôt. Pour s’échapper Dédale met au point deux paires d’ailes collées dans leur dos avec de la cire, il met en garde son fils de ne pas s’élever trop haut pour ne pas que les rayons de soleil fassent fondre la cire. Mais Icare n’écoute pas les recommandations, ses ailes fondent et il meurt à la suite d’une chute dans la mer. Bruegel a fait le choix de représenter le mythe après qu’Icare soit tombé la composition est en deux plans en diagonale. Au premier plan dans une vue plongeante un paysan qui laboure son champ un peu plus bas un espace ou paissent des moutons et un berger , sur la berge un pêcheur. Le deuxième plan est l’espace maritime, on peut y voir un bateau et les jambes d’Icare entrain de se noyer. Au premier plan la tonalité est dans des tons de brun très doux et de vert seules les manches rouges du laboureur attirent notre regard. Le deuxième plan est plus clair fait de couleurs froides où le vert et le bleu dominent. La lumière est dorée mais diffuse. Ce tableau offre plusieurs lectures dont une pourrait être : les trois hommes qui travaillent sont en opposition avec Icare qui vole dans les airs et se croit plus haut que les autres. Bruegel aimait illustrer des proverbes comme celui-ci « aucune charrue ne s’arrête pour un homme qui se meurt »
La Chute d'Icare
Copie probable (vers 1595-1600), exposée au Musée royal d'art ancien à Bruxelles
Artiste Pieter Brueghel l'Ancien / Date c. 1558 (œuvre originale, perdue) / Type Huile sur panneau, transposée sur toile
Dimensions (H × L) 73,5 × 112 cm
Mouvement Renaissance nordique
Collections Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Museum Van Buuren
Localisation Bruxelles (Belgique)
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[Analyse d’une œuvre] La Chute d’Icare, de Pieter Brueghel l’Ancien
la légende d’Icare . Pour avoir trahi son protecteur le roi de Crète, Dédale est enfermé avec son fils Icare dans un labyrinthe inextricable qu’il a lui-même conçu quelques années plus tôt. Toute évasion par voie terrestre est impensable… par contre, rien n’empêche les deux hommes de prendre la poudre d’escampette par les airs… Dédale met au point deux paires d’ailes collées dans leur dos avec de la cire et met bien en garde son fils de ne pas s’élever trop haut dans les airs pour ne pas que les rayons du soleil fassent fondre la cire. Comme tout ado qui se respecte, Icare n’écoute pas les recommandations de son père, ses ailes fondent et il meurt à la suite d’une chute vertigineuse dans la mer. Fin de l’histoire.
Moralité 1: tu ferais mieux d’écouter les conseils des anciens, toi le jeune con qui croit tout savoir de la vie!
Moralité 2: à trop vouloir atteindre les sommets, la chute n’en est que plus terrible…
Pieter Brueghel l’Ancien, peintre humaniste appartenant avec Jan van Eyck, Jérôme Bosch et Pierre Paul Rubens au top 4 des artistes flamands qui ont marqué l’Histoire de l’Art, s’empare du mythe en 1558 pour produire une œuvre surprenante. Le spectateur assiste à une scène campagnarde et, si ce n’est le titre, bien peu d’indices le mettent sur la voie d’Icare et de son père Dédale… On a beau scruter le ciel, aucune plume à l’horizon! Seul le berger au centre de la composition avec le nez tourné vers le ciel nous laisse supposer qu’il se passe d’étranges choses dans les airs… Pourtant, après plusieurs minutes d’observation attentive, on remarque les jambes qui se débattent dans l’eau à côté du bateau et qui peuvent, bien sûr, n’appartenir qu’à Icare!
Brueghel fait donc le choix étonnant de représenter le mythe APRÈS qu’Icare soit tombé! C’est peut-être un détail pour vous, mais pour l’artiste, cela veut dire beaucoup!
Analyse interactive de la Chute d’Icare de Breugel l’Ancien, 1558
Le regard du spectateur est en premier lieu attiré vers le personnage en premier plan, le paysan qui laboure son champ dont les préoccupations semblent bien loin du drame mythologique en train de se tramer. Des deux hommes présents, l’un regarde le sol et l’autre les cieux: comment ne pas y voir le symbole de la dualité de l’Homme? La recherche d’un Idéal qui s’oppose aux nécessités quotidiennes pour subsister.
« Lorsque nous détournons les yeux pour ne pas voir le mendiant à côté de nous, valons-nous mieux alors que ce laboureur qui semble aveugle au malheur du pauvre Icare? »
Surtout, ce qui choque, c’est bien sûr qu’Icare se noie dans l’indifférence la plus générale: le pêcheur pourtant à côté de lui ne semble même pas daigner lever les yeux! « Expression même de la solitude » selon l’écrivain Anne Philippe, la Chute d’Icare de Pieter Brueghel l’Ancien semble dénoncer l’indifférence des hommes envers leurs prochains. Ce pêcheur, n’est-il pas nous, passants indifférents à côté d’un mendiant réclamant une pièce? Lorsque nous détournons les yeux pour ne pas voir la misère à deux pas de nous, valons-nous mieux alors que ce laboureur qui semble aveugle au malheur du pauvre Icare?
La Chute d’Icare, Breugel l’Ancien, huile sur toile, 73.5 × 112 cm, 1558
Mais rassurez-vous et ne culpabilisez pas! La force de Brueghel c’est justement que, loin de juger l’égoïsme humain, il porte au contraire un regard plein d’amour sur l’humanité. La misère et la mort font partie de notre quotidien, mais la Vie ne s’arrête pas pour autant: continuer de tracer son sillon dans la terre semble être la seule protection possible aux malheurs qui nous accablent. En un seul tableau, Brueghel réussit ainsi l’exploit de nous résumer toute la philosophie humaniste!
En contemplant l’œuvre, le regard inattentif d’un spectateur peu avisé pourrait songer à la simple représentation d’un paysage bucolique. Pourtant, si on prend la peine d’en décortiquer les détails, la symbolique puissante de l’œuvre prend tout son sens. Et c’est plutôt passionnant, non?------------------------------------------------------------------
La chute d’Icare, Bruegel
lundi 5 décembre 2016 , par Hervé BERNARD dit RVB
La Chute d’Icare une mise en image de l’égoïsme humain ?1 Une indifférence au monde ?
Il est tentant de regarder La Chute d’Icare comme un hommage à l’indifférence du monde à nos joies et peines. En effet, cette opération étrange pour un homme : tenter de voler ne suscite aucune curiosité ; tout le monde vaque à ses occupations. Qui de labourer son champs, qui de garder ses moutons, de pêcher, voire de partir à la découverte d’horizons lointains... La prégnance de cette indifférence est renforcée par notre ignorance de l’épopée de ce noyé. Le titre n’indique qu’une chose : Icare a chu mais de où a-t-il chu nul ne le sait, la peinture reste muette. Aurait-il chu du Paradis ? Et subitement ce laboureur devient l’humanité qui gagne son pain à la sueur de son front tandis que le noyé devient l’humanité qui sombre dans le péché. Cependant, ce laboureur qui, certes travaille, ne semble pas suer beaucoup pour gagner son pain et le pécheur quant, à lui, semble encore moins suer.
Hormis ce titre, La Chute d’Icare pourrait représenter une noyade quelconque et alors s’intituler au choix : Le Noyé, Le Départ en souvenir de ce bateau qui met cap à l’horizon ou encore, à la manière des fables d’Ésope ou de La Fontaine que Bruegel ne pouvait connaître Le Laboureur et le Pêcheur...
Cette peinture nous rappellerait alors le rôle du titre dans l’interprétation d’une œuvre picturale et nous montrerait combien les mots et les images sont associés dans un enrichissement mutuel. Cependant, que ce soit le titre originel ou l’un des deux titres que nous proposons, ce tableau nous présente les humains comme des êtres peu secourables par égoïsme ou parce que leur destin les astreint à s’occuper de leur sécurité alimentaire peu importe. Le fait est là : sauver un congénère est moins urgent qu’assurer sa subsistance et celle des siens. Quant à l’encourager dans sa quête, ne rêvons pas, ce n’est pas la priorité... Comment cette indifférence est-elle traduite ? Par le sentiment, la sensation que chacune des scènes de cette peinture : les labours, le berger et ses moutons, le pécheur, la ville au loin ou encore le bateau et le noyé sont des scènes autonomes, voire indépendantes. En cela, La Chute d’Icare est l’héritière de la Miniature du Moyen-Age.
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Certes l’indifférence générale est aussi marquée par ces regards dirigés dans le sens opposé à la scène centrale désignée par le titre. Certes le pécheur semble regarder dans la direction du noyé mais, en fait, son regard est tellement absorbé par son flotteur qu’il ignore ou oublie de voir Icare qui parait si proche ou plus exactement, qui parait dans une proximité fruit de la perspective de l’image. Ce qui fait de cette proximité une illusion. Quant aux marins de la nef, leur absence du ponton nous laisse croire qu’ils sont occupés à d’autres tâches dans cet univers clos : la coque d’un navire. À l’exception du berger, aucun regard ne semble s’être tourné vers le ciel. Ces attitudes nous paraissent bien étranges à nous, hommes du XXIe siècle qui continuons de célébrer les casses-cous de tous poils qui, depuis ce célèbre Icare tentèrent de faire voler, à n’importe quel prix, par n’importe quel moyen l’humain quitte à le transformer en oiseau. Quel est le sens de ce qui nous semble être indifférence à ce qui nous fascine tant ?
Le monde serait-il indifférent à la mort, à nos souffrances mais aussi à nos plaisirs et par conséquent aux autres quoiqu’ils éprouvent ? Chacun continuant son chemin pour ne s’occuper que de se sustenter ?
Ce tableau serait-il alors la mise en image de cet adage chrétien : « Missa est » « la Messe est dite ! », dans le sens d’achevée. Il a tenté1, il a échoué, l’essentiel est de nous procurer le pain quotidien. Tenter, revenons quelques instants sur ce verbe. A-t-il tenté ou a-t-il été tenté. Dans ce dernier cas, cette forme passive devient redoutablement active, active dans le pêché.
Malgré la mort, il faut continuer à vivre, certes, quoiqu’il arrive la vie suit son cours. La vie est la plus forte et cette force de la vie est célébrée par la luminosité de ce tableau mais aussi par la saturation de ses couleurs. Saturation et luminosité bien trop intense pour un tableau de deuils surtout pour le deuil de nos espoirs. Et si La Chute d’Icare était, plutôt qu’un tableau évoquant la vanité et le Péché Originel et l’enfermement dans ce pêché, un tableau parlant de la force de la vie.
Outre l’intensité des couleurs évoquées précédemment, à l’appui de cette thèse, au premier abord saugrenue, car la thématique de La Chute d’Icare a été récupérée ou pensée par l’iconographie chrétienne comme icône de l’expulsion, de la Chute du Paradis. Ainsi, rare sont les commentaires troublés par cet l’horizon dégagé et lointain malgré l’aspect exceptionnel de ce traitement non seulement dans l’œuvre de Bruegel mais aussi dans la peinture de ces contemporains à l’exception d’une Vierge à l’Enfant attribuée à Quentin Metsys où cette ouverture est moins prégnante en raison de la place de la Vierge.
Pourtant cette ouverture est réellement en opposition avec l’enfermement affirmé par le dogme chrétien, en reliant cette peinture à l’expulsion du Paradis. Donc, cette ouverture, cet horizon dégagé ferait de cette peinture une Annonciation mais, pas une annonciation liée à la symbolique chrétienne : l’annonce par l’Ange Gabriel de la naissance du Christ. Non, cet horizon dégagé en ferait l’annonciation de la découverte du Nouveau Monde, et de ce qui deviendra quelques siècles plus tard la mondialisation. Je ne peux m’empêcher d’associer cette peinture à ces vers de Baudelaire : « Plonger au fond du gouffre, / Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! » À moins que cela ne soit l’annonce du progrès technologique qui s’accéléra de manière exponentielle à partir de la Renaissance.
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Analyse de La Chute d’Icare de Bruegel l’Ancien par Coralyne Fallet, Augustine Midavaine, Océane Desse, Camille Blervacq et Yolène Her
Dédale et son fils Icare, retenus prisonniers dans le labyrinthe du roi Minos en Crète, tentèrent de s’échapper en confectionnant des ailes à l’aide de cire et de plumes. Dédaignant les conseils de son père, grisé par sa toute nouvelle capacité, Icare vola trop près du soleil. Son imprudence provoqua la fonte des ailes, sa chute et sa noyade dans la mer.
C’est cet épisode de la mythologie grecque que représente le tableau La Chute d’Icare de Bruegel l’Ancien. Ce peintre appartient au mouvement culturel qui se nomme l’Humanisme. L’Humanisme consiste à mettre l’homme au centre de toutes les préoccupations et favoriser le progrès et l’évolution de l’esprit humain.
Dans cette représentation du mythe d’Icare, on distingue de nombreuses oppositions. Pour le constater plus aisément, il suffit de partager le tableau en deux parties. La ligne de démarcation apparaît en suivant la rive. La mer et le ciel se trouvent ainsi en opposition avec la terre. Les deux premiers éléments renvoient à l’univers qui reste majoritairement inconnu à l’époque, objet de fantasmes et de mythes, qui n’a pas encore livré tous ses mystères, tandis que le continent symbolise l’univers concret, le réel, ce qui nous est familier.
Malgré le titre du tableau, ce n’est pas Icare que Bruegel a voulu mettre en évidence, et on ne remarque le personnage qu’après une longue observation : il se situe au second plan dans la mer et on ne distingue que l’une de ses jambes hors de l’eau. Il est en train de se noyer, la chute a déjà eu lieu. Il représente l’image du mythe, de l’imaginaire.
Lorsque l’on est devant le tableau, le regard est surtout attiré vers l’homme au premier plan, l’agriculteur qui travaille la terre. A l’inverse d’Icare, il représente le réel, ce qui est concret. Les deux personnages s’opposent de par leur place dans le tableau et de par leur environnement : l’homme s’oppose au mythe.
Au bord de l’eau on distingue aussi un berger qui lève les yeux au ciel, tandis que l’agriculteur a le regard rivé sur le sol qu’il laboure : les deux aspirations de l’Homme sont ainsi révélées : d’une part la recherche de l’Idéal incarnée par le berger, d’autre part l’appartenance aux réalités matérielles pour le paysan. Les deux regards se croisent sur la ligne de démarcation qu’on a évoquée plus tôt, dynamisant le jeu des oppositions. Celui-ci est d’ailleurs renforcé par le fort contraste de couleurs avec un premier plan terrestre plutôt sombre et un second plan très clair, surplombé par un soleil rayonnant.
Dans cette œuvre, Bruegel oppose donc de manière subtile l’Homme et la réalité du monde auquel il appartient aux mythes et leurs personnages imaginaires. L’individu est mis en avant au détriment des fantasmes mythologiques, mais une part de lui-même est encore tournée vers la séduction de l’ailleurs. Les bateaux qui s’éloignent vers l’horizon montrent cela et rappelle le désir d’exploration inhérent au 16ème siècle.
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La Chute d’Icare
Aux Musées royaux de Bruxelles, j’ai pu admirer La Chute d’Icare, peinture attribuée à Pieter BRUEGEL l’Ancien. Ce tableau a fait l’objet de plusieurs analyses — auxquelles j’ai la témérité d’ajouter la mienne !
À côté de la toile se trouve la notice suivante, porteuse de points d’interrogation :
Bien que l’on ne sache pas avec certitude qui est vraiment l’auteur du tableau, il est vraisemblable qu’il s’agisse de Pieter Bruegel.
1.Le peintre : Pieter BRUEGEL ou BRUEGHEL, graveur et peintre flamand, signera de ce nom à partir de 1559. Sa date et son lieu de naissance sont inconnus (c. 1525) mais il est mort en 1569 à Bruxelles. On le surnomme “l’Ancien” ou “le Vieux” ou on lui accole le chiffre romain I pour le distinguer de ses fils. Il a été formé à Anvers par Pieter Coecke Van Aelst, peintre, architecte, éditeur … et son beau-père, puisqu’il en épouse la fille en 1563. De son voyage en Italie (1553), il n’est marqué, semble-t-il, que par son passage par les Alpes ! Aussi n’y a-t-il pas d’influence italienne dans son style, où l’on décèle, en revanche, celle des peintres Patinir, Bosch et Dürer. Il s’intéresse à la vie du petit peuple, et cela lui vaudra également d’être appelé “le Rustique”. Son œuvre présente un caractère moralisateur, avec un registre satirique. Amateur de paysages, Bruegel fait passer des préoccupations humanistes (c’est la Renaissance !) dans ses tableaux. Figure importante de la peinture flamande au XVIè siècle, il annonce Rubens, le Baroque, ainsi que les paysagistes et les peintres hollandais.
2.L’œuvre : Paysage avec la chute d’Icare, dit aussi La Chute d’Icare, c. 1558, d’abord peinture sur bois, puis huile sur toile (c’est Jan Van Eyck, 1390-1441, qui aurait inventé la peinture à l’huile). Dimensions : 73,5 cm x 112 cm. Musées royaux des Beaux-Arts, Bruxelles, Belgique.
3.Classification : Renaissance (dans les pays du Nord). École flamande.
4.Genre ou catégorie : Paysage (comme le premier titre l’indique), scène de genre et allégorique (il y a une leçon à en tirer).
5.Le Thème : Mythologique. Le poète latin OVIDE narre l’histoire de Dédale et d’Icare dans les vers 182 à 235 du Livre VIII des Métamorphoses.
Ovide décrit l’ingéniosité de Dédale qui invente des ailes faites de plumes, de lin et de cire, pour fuir la Crète de Minos, où il était retenu prisonnier, après avoir imaginé l’architecture du Labyrinthe. Dédale s’inquiète cependant des dangers de cette évasion et avertit son jeune fils. Icare, tiens-toi à mi-hauteur dans ton essor, je te le conseille : si tu descends trop bas, l’eau alourdira tes ailes ; si tu montes trop haut, l’ardeur du soleil les brûlera. Vole entre les deux… prends-moi pour seul guide de ta direction. En même temps, il lui enseigne l’art de voler et il adapte à ses épaules des ailes jusqu’alors inconnues… Il donne à son fils des baisers qu’il ne devait pas renouveler et, s’enlevant d’un coup d’aile, il prend son vol en avant, inquiet pour son compagnon, comme l’oiseau qui des hauteurs de son nid a emmené à travers les airs sa jeune couvée ; il l’encourage à le suivre, il lui enseigne son art funeste et, tout en agitant ses propres ailes, il regarde derrière lui celles de son fils. Un pêcheur occupé à tendre des pièges aux poissons au bout de son roseau tremblant, un berger appuyé sur son bâton, un laboureur sur le manche de sa charrue les ont aperçus et sont restés saisis ; à la vue de ces hommes capables de traverser les airs, ils les ont pris pour des dieux… L’enfant, tout entier au plaisir de son vol audacieux, abandonna son guide ; cédant à l’attrait du ciel, il se dirigea vers des régions plus élevées. Alors le voisinage du soleil dévorant amollit la cire odorante qui fixait ses plumes ; et voilà la cire fondue ; il agite ses bras dépouillés ; privé des ailes, qui lui servaient à ramer dans l’espace, il n’a plus de prise sur l’air ; sa bouche, qui criait le nom de son père, est engloutie dans l’onde azurée à laquelle il a donné son nom (traduction de G. Lafaye, 1925-1930).
6.Bibliographie : L’Histoire de la peinture pour les Nuls (éditions First) et le Dictionnaire Robert des Noms Propres (pour la biographie) ; le texte d’Ovide tiré des Métamorphoses (collection Folio classique) pour le thème ; le Dictionnaire des Symboles (coll. Bouquins) pour les analyses symbolique et chromatique.
7.Analyse iconographique :
Le spectateur est placé dans un point de vue élevé par rapport à la scène représentée. Aucun personnage ne le regardant, il reste extérieur à l’histoire racontée par le tableau. Mais il en a une vue d’ensemble et il peut exercer son jugement.
Il voit donc en plongée des personnages mentionnés dans le texte d’Ovide, mais dans l’ordre inverse où ils ont été cités. En effet, on voit d’abord, au premier plan, un laboureur, penché sur sa charrue et creusant des sillons dans la terre. Ensuite, au second plan, un berger, le nez en l’air, entouré de son chien et de son troupeau de moutons. Enfin, au troisième plan, à droite, un pêcheur à la ligne et, non loin de lui, les jambes de quelqu’un qui tombe dans la mer, au milieu de plumes qui s’éparpillent : c’est Icare.
D’autres personnages figurent également sur cette toile : des marins visibles dans les haubans d’un bateau. Et, non visibles, les habitants d’une cité portuaire que l’on distingue dans le lointain à gauche.
La mer est calme, mais les voiles des bateaux sont gonflées par le vent — lequel ne souffle pas sur la terre car aucun mouvement n’agite les vêtements des personnages ni les feuilles des arbres. Le soleil est à l’horizon : c’est l’aube, moment tranquille, propice aux travaux agricoles et à la pêche. On voit les ombres allongées des personnages, du fait de la lumière oblique.
La mer occupe un espace primordial dans cette toile ; mais la terre est également présente sous la forme de champs, d’îles et d’habitations. Pourtant ce paysage n’est ni méditerranéen ni gréco-latin antique. Bruegel a transposé l’histoire d’Icare à son époque et dans son pays : en témoignent principalement les vêtements du laboureur et la forme des bateaux.
8.Analyse symbolique :
Connaissant le texte d’Ovide, Bruegel adopte cependant un point de vue différent.
Ce n’est pas l’origine du nom de la mer Icarienne (Icarium mare) ou de l’île d’Icarie (Icaria) située dans la partie orientale de la mer Égée qui l’intéresse, alors que le poète latin aime à raconter des mythes étiologiques (pour donner la raison de telle ou telle chose). L’artiste flamand préfère accorder de l’importance aux personnages du petit peuple que sont laboureur, berger, pêcheur et, dans une moindre mesure, marins. On peut les considérer comme des hommes ordinaires, arrêtés par le spectacle insolite d’hommes capables de traverser les airs, qu’ils ont pris pour des dieux (cf. thème, extrait d’Ovide). Un moment surpris (le berger regarde en l’air), ils restent, somme toute, indifférents au sort du malheureux Icare — ce qui se traduit picturalement par la place importante assignée au laboureur et à celle, infime, accordée à Icare dans ce tableau qui porte son nom !
On pourrait également considérer la valeur symbolique des personnages, mais est-elle toujours appropriée ?
Le laboureur est, symboliquement, celui qui accomplit un acte sacré, … un acte de fécondation de la terre. Il est supérieur au guerrier et révèle aussi le passage de la vie nomade à la vie sédentaire.
Le berger symbolise la veille : il est éveillé et il voit. De ce fait, il est comparé au soleil qui voit tout et au roi … En raison des différentes fonctions qu’il exerce, il apparaît comme un sage, dont l’action relève de la contemplation et de la vision intérieure.
Quant au pêcheur, sa connotation religieuse paraît éloignée de l’intention de Bruegel. Le pêcheur d’hommes, titre donné à saint Pierre dans l’Évangile, désigne celui qui sauvera les hommes de la perdition, l’apôtre du Sauveur, le Convertisseur. La pêche est ici le symbole de la prédication et de l’apostolat : le poisson à prendre, c’est l’homme à convertir. En effet, le peintre ne le montre pas en train de secourir Icare, pourtant juste en train de se noyer sous ses yeux !
9.Analyse chromatique :
C’est, avant tout, un paysage : pour représenter ses divers plans (du proche au lointain), Bruegel reprend à Patinir les tons de brun-vert-bleu, qui dominent sur cette toile. Le jaune doré traduit, bien sûr, la lumière du soleil ; mais, symboliquement, le jaune d’or, couleur des dieux, … était l’attribut d’Apollon en Grèce. Or Apollon est aussi très souvent confondu avec le dieu Hélios (Soleil). Et on sait l’importance du soleil dans l’histoire d’Icare.
Les autres couleurs, dont le rouge de l’habit du laboureur qui attire l’œil du spectateur, sont le noir et le blanc. Elles ne semblent pas avoir de valeur autre que ce qu’elles représentent (les voiles blanches, les troncs noirs etc.). Mais dans une interprétation symbolique de ce tableau, considéré par certains comme ésotérique, elles seraient liées à l’Alchimie : L’œuvre au noir hermétique, qui est une mort et un retour au chaos indifférencié, aboutit à l’œuvre au blanc, finalement à l’œuvre au rouge de la littérature spirituelle.
Enfin, on remarque l’importance de chacun des 4 éléments dans ce tableau : l’air (le vol d’Icare, les voiles gonflées), la terre (les sillons du laboureur), l’eau (la mer, les marins et le pêcheur, le port) et le feu (le soleil). Ainsi que celle des animaux (le cheval, le chien, les moutons, les oiseaux — dont un gros qui est près du pêcheur). C’est un cosmos en soi !
10.Charpente, style et synthèse :
Le point de fuite est situé à l’horizon, à gauche. Et la vision que propose Bruegel est, de manière étonnante, celle d’un spectateur qui plane au-dessus de la scène, qui la survole. Est-ce celle de Dédale, un malheureux père, un père qui ne l’est plus (et qui) va criant : Icare, Icare, où es-tu ? En quel endroit dois-je te chercher ? Il criait encore quand il aperçut des plumes sur les eaux… (Ovide, op. cit.) — Dédale qui, dans ce cas, reviendrait en arrière ?
Le style est celui de la Renaissance flamande (réalisme et souci du détail).
Quant à la leçon à en tirer ? Il y en a plusieurs, me semble-t-il.
La plus évidente (et la plus simple) est morale : un fils ne doit pas désobéir à son père !
Morale aussi, mais dans une perspective antique, l’idée selon laquelle tout être coupable de démesure (l’υβρις hybris des Grecs) sera forcément châtié ; or Icare s’est pris lui-même pour un dieu, en voulant aller plus haut dans le ciel !
Moins “morale”, à nos yeux modernes, la notion de Fatalité qui s’attache à un être humain et à sa descendance. À travers Icare, c’est son père qui est puni, ce Dédale qui autrefois, par jalousie, avait tué son neveu et élève Talos (qui avait inventé la scie et le tour à potier) et, à cause de ce crime, avait quitté Athènes pour se réfugier en Crète (Dictionnaire de l’Antiquité, coll. Bouquins, p. 286). Némésis, déesse de la Vengeance, l’a rattrapé.
Toujours dans une perspective antique, on peut y voir une vision “simplifiée” de la philosophie épicurienne. En effet, voir les autres souffrir ou mourir n’est pas un plaisir en soi. Mais contempler de loin les misères d’autrui sans en être affecté est agréable : sed quibus ipse malis careas quia cernere suave est mais il est doux de voir à quels maux toi-même tu échappes, dit Lucrèce, poète latin vulgarisateur de la doctrine d’Épicure (De rerum natura, II, vers 4). Ainsi font les personnages que Bruegel représente, rêveur comme le berger, ou indifférents à ce qui n’est pas leur tâche, comme le laboureur et le pêcheur.
En dernier lieu, Bruegel délivre un message propre au XVIè siècle. L’Homme et le développement de ses qualités sont au centre des préoccupations de l’Humanisme de la Renaissance. Ce qui va de pair avec la satire des prétentieux.
N.B. Le bulletin L’Hebdo indépendant du 5 avril 2018 annonce que le nom d’Icare a été donné à une nouvelle étoile découverte par les scientifiques, grâce au télescope spatial Hubble de la NASA. C’est l’astre le plus lointain jamais observé. Située à 9,3 milliards d’années-lumière de la Terre, cette étoile est au moins 100 fois plus éloignée que toutes celles précédemment observées.
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MAGAZINE DU COLLÈGE DES BERNARDINS ÉTÉ 2020
LA CHUTE D’ICARE : COMMENT ÉVITER LA TRAGÉDIE ?
L’original est perdu et on ne sait presque rien du tableau conservé depuis 1912 aux musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, mais personne ne doute que cette extraordinaire composition lui revienne. C’est vers 1558 à Anvers que Pierre Bruegel l’Ancien aurait peint La Chute d’Icare, seul thème mythologique de toute son œuvre, inspiré du huitième livre des Métamorphoses d’Ovide.
Le poète raconte comment Icare et son père Dédale s’enfuient du labyrinthe où le roi Minos les détient prisonniers, en fabriquant des ailes de cire et de plumes. Négligeant la recommandation de Dédale de ne voler ni trop bas, ni trop haut, grisé par le vol à l’air libre, Icare s’écarte de son guide et s’approche du soleil. La cire fond, Icare est précipité dans la mer. Son père ne retrouvera de lui que des plumes à la surface des flots.
Icare au second plan
Il faut une certaine perspicacité au spectateur pour comprendre que cette vaste composition panoramique illustre le mythe d’Icare, car celui-ci en est singulièrement absent, ainsi que Dédale. L’ironie de Bruegel réside dans une composition où Icare se noie dans l’indifférence générale. Où est-il ? Pourquoi ne le voit-on pas traverser majestueusement ce vaste ciel, déployant ses ailes tel un oiseau paradisiaque, lui l’homme volant, aussi fabuleux qu’un dieu ? Le cosmos tout entier resplendit sur cette toile, dans un panorama en vue plongeante. Icare n’y aurait-il pas sa place ?
C’est un simple laboureur qui occupe le premier plan. Son surcot rouge capte le regard. Ce travailleur consciencieux n’obéit-il pas aux lois de l’univers ? Il est l’exemple même de celui qui accepte son destin, qui s’y soumet humblement. Il féconde la terre, porte du fruit, réalise le projet divin. Sur la gauche, une épée et une bourse posées à terre illustrent le proverbe « épée et argent requièrent mains astucieuses ». Allusion au laboureur persévérant, fidèle et rigoureux qui voit son travail récompensé par des pièces sonnantes et trébuchantes. Derrière lui, un berger scrute le ciel, appuyé sur son bâton. Cherche-t-il Dédale dans l’azur transparent, comme le montre la deuxième copie du tableau, conservée au musée Van Buuren de Bruxelles ?
Le rire de la perdrix
À droite, la perdrix, symbole de tentation au Moyen Âge, est l’incarnation du neveu de Dédale dans Les Métamorphoses. Son regard n’est pas attiré par le drame, elle surveille un pêcheur tirant sa ligne, tandis que, sur le navire à l’arrière-plan, on s’affaire à tendre les amarres. L’humanité est à sa tâche : elle laboure, elle fait paître, elle pêche, elle commerce… La voilà garante de la bonne marche du monde, telle que Bruegel l’entend.
Ce n’est que dans un second temps, à droite, en contrebas de la falaise, que l’on découvre les deux jambes nues qui s’agitent au milieu des flots : Icare se noyant.
Ce fatal « désir de ciel »
Pourtant, quelle formidable avancée technique pour l’humanité de fabriquer des ailes pour voler ! Quelle audace, quelle ingéniosité, quel rêve devenu réalité ! La liberté à peine retrouvée d’Icare s’est perdue dans la démesure, l’insolence humaine de vouloir égaler les dieux, l’hybris.
N’y avait-il pas un autre choix à faire pour le nécessaire progrès du monde ? Par le choix de la « non-puissance » dont parle le philosophe Jacques Ellul, qui consiste à accueillir l’innovation technique en refusant la toute-puissance, Icare aurait évité la double tragédie de l’égoïsme et de l’indifférence, un naufrage pour l’humanité. Dans les deux tableaux La Tour de Babel peints par Bruegel en 1563 et en 1568, allégoriques de l’empire international des Habsbourg, les desseins humains, poussés par l’orgueil et la fierté, échouent également dans leur élan vers le divin.
À l’heure où les plus grandes puissances engagées dans la mondialisation sont mises à mal par un virus, où l’humanité entière est menacée, ne faut-il pas voir dans ces représentations une question urgente et essentielle : comment mieux collaborer pour éviter la chute ?
diplômée de l’École du Louvre, professeure d’histoire de l’art au Collège des Bernardin ,
Texte d’Anne Philippe (extrait)
Le récit : Dédale & Icare
(Les élèves travaillent sur une (ou des) photocopie(s) noir et blanc , d’une règle, de crayons de couleurs, pour leurs travaux ou recherches, tout en disposant de l’original couleur sur l’écran en salle informatique /ou sur le TNI- grand format-)
1. Comparaison du titre et du tableau
On demande aux élèves de comparer le titre « Paysage avec chute d’Icare » et le contenu de l’image, ils peuvent réfléchir sur :
– le lien (surprenant) entre les deux éléments (un paysage / Icare)
– le caractère paradoxal d’un paysage qui occupe tout l’espace, alors qu’Icare est à « deviner » dans les deux jambes qui entrent dans l’eau
Cette première étape peut être l’occasion :
– d’un bref rappel de la légende d’Icare : Dédale et son fils Icare, enfermés dans le labyrinthe qu’ils viennent de construire pour emprisonner le Minotaure, se fabriquent des ailes avec des plumes et de la cire, afin de s’échapper (voir récit en fin d’étude)
– de la formulation de premières hypothèses que l’examen méthodique de l’image permettra de vérifier.
2. Examen méthodique de l’image : « ce que je vois »
Quatre exercices « concrets » sur l’image : les élèves travaillent à la règle ou au crayon sur une photocopie noir et blanc ou sur une représentation schématique du tableau (face à l’image couleur plein écran).
Premier exercice : recherche de la composition, en déplaçant une règle sur le tableau, de manière à faire apparaître :
– la construction selon des plans en diagonales
– soutenue par le dégradé des couleurs (du sombre -le rocher- au clair -le soleil),
– qui divise en fonction des activités humaines (rocher stérile, labourage et pâturage, pêche et navigation … jusqu’au ciel où Icare devrait être)
Deuxième exercice : tracé du « chemin du regard »
La consigne est de chercher ce qui attire en premier le regard (tache rouge du vêtement du laboureur?) et de figurer sur la feuille de travail le déplacement du regard pour embrasser l’ensemble du tableau.
(Dans un mouvement circulaire, le regard peut suivre la direction de l’attelage, remonter le long des arbres, embrasser l’horizon pour retomber en fin sur le dernier motif important, le bateau . Véritable microcosme qui enferme l’ensemble des activités humaines productives – Icare se trouve en dehors de ce cercle, on le découvre en dernier, comme par hasard).
Et les couleurs ? Les couleurs froides, notamment le vert et le bleu, dominent largement. Le soleil couchant (ou levant) revêt le paysage d’une lumière dorée mais diffuse. Les tons bruns de la voile et des rochers restent très doux. Seules les manches rouges du laboureur tranchent vraiment, attirant le regard.
Troisième exercice : observation de l’attitude des personnages
La consigne consiste à tracer pour chaque personnage (laboureur, berger, pêcheur, marins dans la mâture …) une flèche qui indique la direction de leur regard. On peut noter aussi la direction de la charrue et la direction du vent dans les voiles…
Il est alors facile de conclure sur la divergence des regards (qui ne se croisent pas), ainsi que sur la direction d’ensemble (vers la gauche, tournant le dos à Icare), signes que chacun est absorbé par son occupation, ignorant le sort d’Icare qu’il ne voit pas.
CL = Les personnages n’ont aucune relation les uns avec les autres. Le pêcheur est penché sur l’eau, le laboureur a les yeux rivés sur son sillon. Le berger regarde le ciel, d’où vient de tomber Icare. Chacun s’occupe de sa tâche et personne ne semble voir le noyé.
Bruegel représente trois activités liées à l’exploitation des ressources naturelles : la culture, l’élevage et la pêche.
Quatrième exercice : étude des lignes qui structurent les motifs principaux (attelage/laboureur, arbres et montagne, bateau …)
Il s’agit de faire apparaître les nombreuses lignes horizontales et verticales, qui en donnant stabilité au tableau contribuent à l’atmosphère de sérénité (même le vent qui pousse le navire n’affecte en rien le calme du paysage)
3. Essais d’interprétation : « qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? »
Demande de formulation en quelques phrases, à l’oral, par groupes, d’une interprétation du tableau,
– penser au paradoxe du titre (puisque la chute d’Icare n’est pas le motif principal du tableau)
-refus du tragique;vision d’une nature sereine, d’une terre féconde, d’une société laborieuse indifférente au drame d’Icare (vision à laquelle Bruegel oppose la fin tragique de l’homme victime de ses ambitions ?)
-l’homme doit travailler, ne pas se laisser détouner par les « fous », c’est un tableau qui montre la nouvelle confiance en l’homme, celle des Humanistes de la Renaissance, et la place secondaire de la religion.
Renvoi pour conclure au texte d’Anne PHILIPE dans « Le temps d’un soupir »
4. Prolongements
– Lecture de l’article du Petit Robert II sur BRUEGEL l’Ancien (Pieter) – ce qui permet de faire découvrir l’existence des 2 autres Bruegel – article dont on peut retenir quelques phrases qui semblent concerner ce tableau :
« …oeuvres animées d’un mouvement giratoire ou établies suivant de grandes diagonales. » « Le paysage aux rythmes amples et sereins contraste souvent avec le caractère dérisoire ou ridicule de l’activité ou du destin humain.
– Consulter d’autres oeuvres de BRUEGEL ou sur Icare, comme : http://carta.org/art/bruegel/
?http://firewall.unesco.org/visit/pages_fr/f2_f9.html (Picasso : la chute d’Icare)
http://www.rip.ens-cachan.fr:8080/~latapy/Bruegel/
http://www.art-vertical-boutique.com/detail.php?reproduction=d%E9dale+et+icare&peintre – 4 -=vien&toile=153 ( tableau de VIEN)
– Film BRUEGEL, Le moulin et la croix , sorti en décembre 2011. Film polono-suédois de Lech Majewski avec Rutger Hauer, Charlotte Rampling. (1h31).
– Extrait du livre d’Anne PHILIPE « Le Temps d’un soupir » ?? Le vol d’Icare de Breughel, plein de soleil, est l’expression même de la solitude, non pas de l’égoïsme, mais de l’indifférence qui isole les hommes les uns des autres. Il a sans doute raison, ce laboureur, de tracer son sillon pendant qu’Icare se tue. Il faut que la vie continue, que le grain soit semé ou récolté pendant que d’autres meurent. Mais on souhaiterait qu’il lâche sa charrue et aille au secours de son prochain. Je me trompe peut-être et sans doute ignore-t-il qu’un homme se tue. Il est aussi inconscient que la mer et le ciel, que les collines et les rochers. Icare meurt, non pas abandonné mais ignoré. Chacun de nous est comme ce laboureur. Chaque fois que l’on sort, on passe à côté d’un désespoir, d’une souffrance ignorée. On ne voit pas les regards implorants, ni les misères de l’âme ou du corps. Je suis loin de mon prochain. Si j’en étais vraiment proche, j’abandonnerais toujours sans même y réfléchir ce que je suis occupée à faire, pour aller vers lui.? Nous avions été Icare. Dehors, le monde continuait.
Le récit :Icare et Dédale |
?Minos, roi de Crète, était un homme cruel et malveillant. Un jour, il envoya un message à Dédale, célèbre sculpteur et inventeur. « Viens sur mon île en compagnie de ton fils. J’ai du travail pour toi. » |
Dédale et son fils Icare s’embarquèrent immédiatement pour la Crète. Une fois sur place, ils furent accueillis par le roi dans son immense palais de Cnossos. « Je veux que vous construisiez un labyrinthe secret dans les sous-sols du palais, ordonna Minos. Mais vous n’en soufflerez mot à personne. Je veux qu’il y ait des tunnels si tortueux que quiconque y pénétrera n’en pourra plus jamais sortir. »
Dédale ne savait pas pourquoi le roi désirait cet étrange sous-sol, mais lui et son fils obéirent aux ordres et se mirent au travail. Lorsque le labyrinthe fut enfin terminé, Dédale découvrit son secret. Il servirait de prison pour le Minotaure, terrible monstre à tête de taureau et à corps d’homme qui dévorait chaque année (suivant Apollodore), tous les sept ans (suivant Diodore), ou tous les neuf ans (suivant Plutarque), des jeunes garçons et des jeunes filles.
Lorsque Dédale alla trouver le roi pour se faire payer, Minos refusa. « Toi et ton fils, vous êtes les seules personnes au monde à pouvoir ressortir vivantes du labyrinthe. Je ne peux pas vous laisser partir » hurla-t-il.
Le roi appela ses gardes, qui emmenèrent Dédale et son fils et les enfermèrent dans un donjon. Bien qu’ils aient assez à manger, les deux prisonniers ne pensaient qu’à une chose : s’évader. En regardant des oiseaux s’envoler en direction de la mer, Dédale eut soudain une idée.
Chaque jour, il déposait de la nourriture pour les oiseaux qui venaient se percher sur le rebord de la fenêtre. Chaque jour, il recueillait quelques-unes de leurs plumes. Au bout de plusieurs mois, il se mit au travail en secret, de sorte que les gardes ne s’aperçoivent pas de ce qu’il faisait.
Un matin, Dédale réveilla Icare très tôt. « Enfin, tout est prêt ! Nous partons. » Icare écarquilla les yeux en voyant son père tirer de dessous son lit quatre ailes immenses. Il les avait fabriquées avec des plumes, qu’il avait collées ensemble à l’aide de cire.
« Allons, debout ! ordonna Dédale à Icare. Je vais fixer deux ailes à tes épaules et à tes bras. Ensuite, tu attacheras l’autre paire à mes propres épaules. » Cela fait, il s écria : « Nous sommes prêts. Viens près de la fenêtre, mon fils ! »
Tous deux prirent place sur le rebord de la fenêtre. En regardant vers le bas, Icare fut pris de panique.?« J’ai peur, avoua-t-il d’une voix tremblante. Tu es sûr que ces ailes vont fonctionner ??- Suis-moi et fais comme moi, répondit Dédale. Ne vole pas trop près de la mer, car les embruns pourraient mouiller les plumes. Et ne vole pas trop haut, sinon le soleil risquerait de faire fondre la cire.?- J’y vais » s’écria Dédale. Et il s »élança dans le vide.Icare le regarda planer, les ailes bien écartées. Puis, respirant à fond, Icare sauta à son tour. Au début, il descendit en piqué, mais il sentit bientôt ses ailes le maintenir en l’air. Il rejoignit bientôt Dédale.
C’est merveilleux ! s’écria-t-il. Nous sommes vraiment en train de voler.»?Ils s’éloignèrent à tire-d’aile. Enfin, ils s’étaient échappés de leur donjon ! Tout à sa joie, Icare fondit tel un aigle vers la surface de l’eau et remonta vers le ciel aussi haut que ses ailes le portaient. Il avait oublié le conseil de son père. Il avait oublié qu’il ne devait pas s’approcher du soleil.
Ce qui devait arriver arriva : la chaleur du soleil fit fondre la cire et les plumes commencèrent à se détacher.
Sous les yeux horrifiés de Dédale, Icare descendit en chute libre et s’abîma dans les flots, où il se noya, entre Samos et Patmos, dans la mer depuis appelée icarienne. Dédale n’avait rien pu faire pour sauver son fils. Tristement, il poursuivit son vol jusqu’en Sicile, où il atterrit sans encombre.
La légende ajoute que le corps d’Icare fut roulé par les vagues jusque sur le rivage, où il fut recueilli et enterré par Héraclès.
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