En images : Sandro Botticelli, maître du portrait renaissaissant
Portraits raffinés, visages presque en état de grâce, compositions audacieuses : l’exposition présentée au Musée Jacquemart-André, à Paris, rend hommage à l’un des plus grands artistes de Florence.
Intitulée « Botticelli, artiste et designer », l’exposition, présentée au Musée Jacquemart-André, à Paris, jusqu’au 24 janvier 2022, réunit près de quarante œuvres de ce peintre (né à Florence le 1ᵉʳ mars 1445 et mort le 17 mai 1510 dans la même ville), l’un des plus importants de la Renaissance italienne. Historienne de l’art, spécialiste de l’art florentin au temps des Médicis, Ana Debenedetti est conservatrice des peintures et dessins au Victoria and Albert Museum (V&A) de Londres. Commissaire de l’exposition, elle commente une sélection d’œuvres en mettant en avant l’influence que Botticelli a exercée sur certains artistes du Quattrocento.
« Cette figure allégorique demeure une énigme : est-elle réellement inspirée d’une des
plus belles femmes de Florence, Simonetta Cattaneo, épouse de Marco Vespucci, distant cousin du célèbre Amerigo mais également bien-aimée de Julien de Médicis à qui il dédia sa victoire lors de la joute de 1475 ? Ou bien devons-nous ce célèbre profil à l’imagination du maître, qui a su, comme nul autre, mettre en image un idéal de beauté jusqu’alors véhiculé par la littérature et la poésie. Il s’agit peut-être au fond d’une conjonction de mouvements. Il est tout à fait possible que la beauté du personnage historique de Simonetta, à propos de qui nous ne savons que peu de choses, correspondait avec celle de la belle dame chantée par les poètes. »
« Botticelli recueille à la mort de son maître, Fra Filippo Lippi, le fils de ce dernier encore adolescent, Filippino. Commence alors une période féconde où les deux amis exécuteront plusieurs œuvres à quatre mains. Cette copie d’une composition célèbre de Botticelli qui, aux Offices, forme un pendant avec la découverte du corps d’Holopherne, a sans doute été réalisée par Filippino à la demande d’un commanditaire dont on ne sait malheureusement rien. Il n’était pas rare en effet que certaines œuvres populaires soient déclinées en plusieurs versions afin de satisfaire une demande alors en pleine expansion. »
« Michele Marullo Tarcaniota était un poète et un guerrier très apprécié des cercles
littéraires florentins et italiens. Sa mort tragique – il se noya dans un torrent à la suite d’une chute de cheval – provoqua une tristesse profonde parmi l’élite de la péninsule. Dans ce portrait, Botticelli réussit à saisir et à restituer toute la psyché de l’homme dont le regard intense nous saisit et nous invite à une étude attentive de ses traits que le peintre a su merveilleusement transmettre à la postérité. Bien que l’on ne conserve qu’une petite dizaine de portraits peints de la main du maître, il a contribué à révolutionner l’art du portrait à la Renaissance. »
« Ses talents de portraitiste hors pair étaient déjà sans doute bien connus lorsqu’on
commande à Botticelli une série de portraits commémoratifs de Julien de Médicis. Ce dernier succombe lors de la conspiration des Pazzi, une famille rivale des Médicis qui attente à la vie des deux frères, Laurent et Julien, lors de la messe de Pâques 1478 célébrée au sein de la cathédrale de Florence. Si Laurent réussit à s’échapper, son jeune frère est fauché dans la fleur de l’âge. Ce tableau est l’une des trois versions qui nous sont parvenues, peut-être la première de la série tant les signes de la mort sont visibles dans les traits creusés et les chairs affaissées du visage. Ces détails seront légèrement atténués dans les autres versions, Botticelli répondant peut-être ainsi à la recommandation de Leon Battista Alberti de conférer une impression de présence dans les portraits des absents. »
« L’exercice de la copie était une activité diffuse au sein de l’atelier. Il permettait aux
assistants et collaborateurs d’exercer leur main au style du maître afin de le seconder
dans la réalisation de ses œuvres. Mais c’était également une stratégie commerciale, qui permettait de décliner une composition ayant rencontré un succès particulier. Pourtant, il n’y a jamais de copie au sens strict du terme dans l’atelier de Botticelli mais des variantes. LaVierge du Magnificat est un grand tableau conservé aux Offices dont on connaît plusieurs répliques. Celle du Musée Fabre, à Montpellier, présentée dans cette exposition, est sans doute la plus belle. Son format est légèrement réduit et un ange a été omis par rapport au prototype. »
« Vénus est l’une des figures tutélaires de la Renaissance florentine, protagoniste du
mythe dont aiment à s’entourer les Médicis. Fidèle à une stratégie de composition qui privilégie le réemploi de certains motifs, Botticelli reproduit la figure centrale du grand tableau mythologique, La Naissance de Vénus (Offices), et invente un genre nouveau : le nu féminin. L’historien et biographe Giorgio Vasari nous apprend que nombre de ces tableaux peuplaient alors les demeures florentines. Botticelli et son atelier produiront plusieurs versions de cette Vénus pudique qui adopte dans ce panneau vertical et dénué de paysage une dimension toute sculpturale. »
« Les sujets de dévotion, dont le thème de prédilection est la Vierge à l’Enfant, constituent une part très importante de la production de l’atelier de Botticelli. C’est sur ces modèles qu’il se forme au sein de l’atelier de son maître Fra Filippo Lippi et qu’il réussit à développer un style tout à fait personnel et si caractéristique. Ici, Botticelli expérimente avec un sujet qu’il n’exploitera quasiment pas – sauf dans le retable Bardi et ses dérivés : une Vierge allaitant. Ce motif a sans doute été inspiré par certaines compositions de ses contemporains et révèle l’œil attentif du jeune peintre pour les travaux de ses pairs. »
« Fra Filippo Lippi est le grand représentant de la peinture du milieu du XVe siècle. Il accueille le jeune Botticelli au sein de son atelier au début des années 1460. Ses sujets de prédilection sont des thèmes religieux, notamment celui de la Vierge à l’Enfant, dont les nombreuses déclinaisons constitueront de véritables modèles pour toute une génération d’artistes. Botticelli offre une version très proche du modèle de son maître dans un tableau aujourd’hui conservé au Louvre et qui pourtant s’en distingue grâce à des variations subtiles. »
« L’atelier de Botticelli produisait également des peintures de meuble et destinées à la décoration des murs des demeures patriciennes. Cette scène représentant le jugement de Pâris a probablement été réalisée à son retour de Rome après 1482. On y retrouve en effet des motifs déjà utilisés dans les fresques de la chapelle Sixtine (1481-1482). Ce panneau imposant a été pensé et dessiné par le maître qui fut cependant aidé dans sa réalisation par l’un de ses collaborateurs fidèles : le maître des bâtiments gothiques, aujourd’hui identifié comme Jacopo Foschi. »
« La Madone au livre est l’un des grands chefs-d’œuvre des années 1480. Botticelli y révèle sa grande maîtrise de l’espace et une attention toute particulière pour les détails qui viennent enrichir sa composition. Le jeu des harmonies chromatiques, dominé par le lapis-lazuli du manteau de la Vierge, révèle le talent de coloriste du peintre tout en indiquant un commanditaire prestigieux, le lapis-lazuli étant un pigment très onéreux et généralement utilisé avec parcimonie. Le visage de la Vierge a atteint une perfection que Botticelli déclinera avec constance dans les scènes sacrées comme dans les sujets profanes. »
« A la toute fin des années 1480, Botticelli produit un certain nombre de grands retables d’autel, dont le registre supérieur représente un couronnement de la Vierge. Un dessin préparatoire, exposé en regard, est sans doute le prototype utilisé afin de reproduire cette scène au fil des années. Le registre inférieur varie, quant à lui, en fonction des commanditaires. Il s’agit ici d’un retable commandé pour l’abbaye de Volterra et qui est présenté pour la première fois depuis leur séparation avec quatre des cinq petits panneaux qui formaient sa prédelle. »
« Botticelli avait déjà représenté l’histoire biblique de Judith dans un petit panneau de jeunesse. Il propose une version très différente quelque vingt-cinq ans plus tard alors que la cité de Florence ploie sous l’influence du moine Savonarole. Ce dernier déclame des prêches violents aux accents apocalyptiques, prônant un retour à l’austérité. La réaction de Botticelli est une rupture de style très nette que cette nouvelle interprétation du mythe révèle : les couleurs sont contrastées, le geste se théâtralise et rompt avec la vision de beauté gracieuse du tableau de jeunesse. »
« Vers la toute fin de sa carrière, Botticelli, sans doute pour adapter son style à une
demande nouvelle de sa clientèle sous l’influence de Savonarole, penche pour une
certaine monumentalité des formes. Cette Vierge à l’Enfant du palais Pitti de Florence dévoile des figures qui occupent la totalité de la surface picturale et ploient vers l’avant comme si l’espace ne pouvait les contenir tout entières. Cette dernière manière est révélatrice d’une interrogation toujours plus sensible du peintre sur son art et la société, bien changée, dans laquelle il évolue désormais. »
« Ce Christ en croix est un objet de procession. Il est peint sur les deux faces et reprend des modèles anciens remontant au début du siècle, en particulier les grands crucifix sculptés et polychromes. Dans la tentative de répondre au goût de sa clientèle, qui a fondamentalement changé sous l’influence de Savonarole, Botticelli tente différentes approches. Dans cette œuvre, il transforme la violence des prêches en un sentiment de sacrifice accepté et apaisé, renouant ou faisant vivre encore en ces temps troublés un art fondamentalement dominé par la grâce. »
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