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Padoue, Giotto et la Chapelle des Scrovegni
Avec plus de 300 000 visiteurs par an, provenant du monde entier, la Chapelle des Scrovegni, peinte par Giotto entre 1303 et 1305, représente l’une des principales attractions de la ville de Padoue, certainement la première du point de vue culturel.
Connue dans le monde entier pour sa voûte étoilée sur un fond bleu intense, la Chapelle dédiée à Sainte Marie de la Charité abrite sur les murs le cycle de fresques représentant la vie de Joachim et d’Anna, de Marie, de Jésus, des Allégories des Vices et des Vertus et, sur le contre-mur, le Jugement Dernier qui porte au salut humain. L’ensemble du cycle est considéré comme un chef-d’œuvre absolu de l’histoire de l’art et il constitue un point de référence pour toutes les autres œuvres du maître toscan.
L’ICONOGRAPHIE
Le projet décoratif de la Chapelle – construite en 1301 par le riche banquier Enrico Scrovegni en tant qu’oratoire privé attaché au bâtiment résidentiel – part des inspirations du théologien augustinien Alberto da Padova. Le cycle iconographique exprime une histoire cohérente et unitaire que l’on peut découvrir lors des visites de la Chapelle, à réserver à l’avance à toutes les périodes de l’année.
Les histoires racontées par Giotto avec ses peintures représentent la vie de Joachim et d’Anna et celle de Maria, avec l’Annonciation et la Visitation. Puis il y a les principaux événements de la vie terrestre de Jésus, qui se terminent par la narration de la Pentecôte.
Au-dessous des événements d’inspiration évangélique, on trouve les cycles des quatre vertus cardinales classiques (Prudencia, Fortitudo, Temperantia, Iusticia) et des trois vertus théologales (Fides, Karitas, Spes) qui affrontent en couple les sept péchés capitaux (Stultitia, Inconstantia, Ira, Iniusticia, Infidelitas, Envy, Desperatio) pour atteindre le Paradis.
Enfin, la dernière scène du cycle pictural représente le Jugement Dernier avec la vision du Paradis. L’historien de l’art et le philologue Giulio Pisani révèle un détail échappé aux critiques précédents et lié à la représentation des quatre foires placées au-dessous du trône du Christ Juge. Traditionnellement, les quatre foires représentaient les quatre évangélistes. Dans l’iconographie de Giotto, cependant, elles capturent quatre attributs du Christ. Pisani explique :
« L’ourse et le poisson, le centaure, l’aigle et le lion sont des symboles christologiques que la culture médiévale, surtout après l’an 1000, à l’époque romane, fait dériver de la plus ancienne tradition chrétienne : ils représentent allégoriquement le baptême, le don de l’immortalité, la victoire sur la mort, la justice ».
LE STYLE DE FRESQUES
Considéré comme un anticipateur de l’esprit de la Renaissance qui suivra après de nombreux siècles, Giotto a introduit dans son art des éléments de naturel, de volume et d’expressivité qui ont produit un détachement net du maniérisme byzantin précédent.
Plus précisément, pour la Chapelle des Scrovegni, l’un des éléments de grand intérêt est donné par le projet unitaire de la décoration, qui tient compte non seulement des scènes décrites ci-dessus, mais aussi des décorations et des architectures simulées, selon une vision globale de l’œuvre qui révèle la grandeur de l’artiste et la maturité atteinte à ce moment de sa carrière.
Une visite de la Chapelle des Scrovegni à Padoue est donc un hommage dévoué à un maître absolu de la peinture de tous les temps dans l’un des contextes qui ont le mieux valorisé son esprit et son héritage, une destination constante pour des millions de visiteurs passionnés et curieux du monde entier.
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Culture européenne : Les fresques splendides de Giotto désormais au patrimoine mondial de l’humanité
Les fresques réalisées par Giotto au XIVe siècle dans la chapelle des Scrovegni, à Padoue (Italie), ont été inscrites le 24 juillet au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Aleteia a publié le 27.07 l’excellent commentaire qui suit de cette décision onusienne, en l’espèce positive. Accompagné d’un superbe diaporama que vous pourrez admirer. Il nous renvoie entre autres à Malraux, agnostique, expliquant l’art sublime de Giotto et de Cimabue dans ses commentaires télévisés de son musée imaginaire.
Par Agnès Pinard Legry.
Un des joyaux de l’art sacré vient d’entrer au patrimoine mondial de l’humanité. Les fresques réalisées par Giotto au XIVe siècle dans la chapelle des Scrovegni, à Padoue (Italie), ont été inscrites le 24 juillet sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Également appelée Église de l’Arena, cette chapelle ne compte qu’une nef unique. Mais quelle nef ! Pas un seul pan de mur n’est laissé au vide : les fresques commandées à Giotto par le banquier Enrico Scrovegni en l’honneur de son père Reginaldo occupent tout l’espace. Élève de Cimabue, Giotto aura mis moins de 900 jours pour couvrir de fresques les quelque 1.000 m² d’espace.
Les épisodes de la vie du Christ, de la Nativité à la Passion, sont environnés de scènes de la vie de la Vierge et de sainte Anne et saint Joachim, les parents de Marie. Le mur faisant face à l’autel offre quant à lui une saisissante représentation du Jugement dernier. Les dimensions modestes de l’espace permettent aux spectateurs d’avoir un contact assez intime et personnel avec les peintures.
L’œuvre majeure de Giotto
La décoration de la chapelle des Scrovegni par Giotto est considérée comme l’une des réalisations les plus magistrales de l’histoire de l’art occidental. Unanimement considérées comme l’œuvre majeure de Giotto et comme l’un des chefs-d’œuvre de la peinture italienne, ces fresques représentent un aboutissement de la technique et du style de l’artiste. Et une formidable invitation à la prière.
Les fresques de Giotto dans la chapelle des Scrovegni à Padoue
Publié le 17 décembre 2011 par MpbernetLa chapelle des Scrovegni, à Padoue, est une des réalisations les plus magistrales de l'histoire de l'art occidental. Ce cycle de peintures murales réalisées au début du XIVème siècle présente une unité et une coharence inouies, une gamme de couleurs d'une rare vivacité et des figures d'une grande force expressive. Elles ont été peintes dans une chapelle construite sur le terrain de l'ancienne arène romaine de Padoue, à la demande d'un riche mécène, Enrico Scrovegni.
Car les années qui font charnière entre le XIIIème et le XIVème siècle sont cruciales pour la peinture italienne. Giotto se nourrit des expériences et des novations de ses contemporains. Lorsqu’il entreprend la décoration de cette chapelle commandée pour le salut de l’âme de son père usurier par son fils Enrico Scrovegni, Giotto est au sommet de sa maturité artistique. Et le livre en donne une idée très précise.
Le découpage des scènes et leur explication méthodique est encore plus enrichissant que la visite in situ, nécessairement trop rapide, quoiqu’indispensable.La vie de Joachim et Anne, mère de Marie, le mariage de Marie et Joseph, la naissance du Christ, le Jugement dernier. Pas à Pas, image par image, portrait par portrait, nous entrons littéralement dans les « journées » de fresques, dans la technique aussi, mais surtout dans le merveilleux tout court.Giotto, c’est l’alpha et l’omega de la peinture pour moi, vous l’aurez compris !
GIOTTO ET SAINT FRANÇOIS SUR LES FRESQUES DE LA BASILIQUE D'ASSISE
Patricia Tutoy Giotto et Saint-François à Assise
Giotto fut le père de la nouvelle peinture comme Giovanni Boccaccio (Boccace, en français) fut celui de la prose nouvelle. Après Boccaccio, la prose devint apte à traiter de tous les sujets. Après Giotto, la peinture fut capable de tout exprimer avec bonheur. C'est en ces termes qu'au XVIIIe siècle, l'abbé Lanzi définit l'apport exceptionnel de Giotto à l'histoire de l'art. Ce jugement a le mérite de souligner l'originalité profonde de Giotto : il n'a pas seulement inventé un nouveau langage, il a forgé le langage nouveau de la peinture. Il a laissé en héritage des oeuvres immortelles, mais aussi un instrument de communication universel dont les artistes qui lui succédèrent surent tirer profit, l'adaptant à leur sensibilité propre et aux canons esthétiques de leur temps.
Ce « dégel » que connaît alors l'Occident voit affleurer le sentiment de l'Histoire : désormais, on prend en compte l'existence de l'individu, caractérisé par un visage, une psychologie, un comportement, des vêtements, une maison, des objets, par tout ce qui peuple sa vie quotidienne et définit son identité. Jusque-là, la représentation artistique semblait s'être fixée la redoutable mission de renvoyer ce qu'elle représentait vers autre chose, un ailleurs où semblait s'être concentrée la spiritualité de l'univers. L'art s'exprimait alors dans la fugue, et l'image ne servait qu'à laisser transparaître l'esprit. Mais, si l'on contemple, une madone de Duccio di Boninsegna (artiste déjà très connu quand Giotto opère ses premières armes en peinture), et si l'on observe le visage de la Vierge (sur les fresques de la chapelle des Scrovegni, dite chapelle de l'Arena, à Padoue, environ 1304-1307) en faisant abstraction des géométries irréprochables, des compositions aériennes et gracieuses qui l'entourent, on s'aperçoit que le rapport s'est inversé et que c'est à travers l'esprit que transparaît la chair. Le charme lyrique de cette oeuvre est justement dans cette sensualité timide, cette touche de tendresse, ce murmure de l'Histoire.
Duccio di Buoninsegna, La Vierge sur le trône (Madone Rucellai), 1285 - Museo degli Uffizzi (Musée des Offices), Florence.
Je propose maintenant d'étudier ce que je viens d'avancer dans cette introduction, en pénétrant dans l'église supérieure d'Assise :
Les différents panneaux de Giotto sont encadrés par une véritable architecture peinte, qui se confond avec celle de l'édifice ou s'y superpose. L'effet recherché au départ s'est estompé : les fines colonnes torses de couleur blanche, imitant le marbre, qui séparent les scènes baignaient à l'origine dans un savant clair-obscur que l'on ne peut plus apprécier, les couleurs ayant foncé, les bleus des ciels, des habits et des étoffes ayant viré au vert. Enfin, les tituli (titulus au singulier : inscription latine qui accompagne chaque épisode de la vie du saint et qui est inspirée de la biographie officielle de saint François rédigé par San Bonaventura (Saint Bonaventure) quand il fut élu ministre général de l'ordre des Franciscains) sont pratiquement illisibles.
Ces histoires de saint François – qui ont vraisemblablement été peintes entre 1296 et 1305 – suivent fidèlement la Legenda Maior de saint Bonaventure, et les différents tableaux furent réalisés dans l'ordre selon lequel se déroule le récit, sauf le premier (François recevant l'hommage d'un homme simple) qui fut achevé après le départ de Giotto pour Rome.
Arrêtons-nous devant le premier des vingt-huit épisodes de la vie de saint François, L'hommage d'un homme simple :
Le portrait de l'homme simple, aux cheveux un peu en désordre, à l'étrange barbe (si différent des personnages solennels qui assistent à la scène), est empreint d'un sentiment intense et sincère. C'est le visage de quelqu'un qui, tout en rendant hommage, demande plus qu'il ne donne. Sa dévotion passionnée est l'expression d'un mystère prophétique, du destin de la sainteté. François répond à tout cela avec une élégante simplicité. C'est un tout jeune homme aux traits purs, qui porte l'auréole comme un délicat ornement. Il n'est pas encore vêtu de l'humble robe brune, mais d'une tunique bleu clair dont la sombre élégance le rapproche plus des notables présents que de l'homme simple. Comment François accepte-t-il l'hommage qui lui est fait ? En retenant du pied la toile étendue devant lui et en tendant sa main délicatement vers l'homme agenouillé. Il ne feint pas l'étonnement. Il apparaît pleinement conscient de l'honneur qui lui est rendu et de son importance. Son attitude reflète la sérénité ; il semble accepter sans arrière-pensée le destin qui est le sien. On perçoit ici que François ne trahira pas la confiance que l'on met en lui ; il ne sait pas encore clairement pourquoi l'homme simple se prosterne, mais d'avance il accepte ce que Dieu attend de lui. Entre le futur saint et l'humble fidèle qui reconnaît en lui cette sainteté s'établit un dialogue profondément humain.
Rien n'y manque, ni les barres transversales qui servent d'appui, ni le drap abandonné au souffle du vent, ni les blasons armoirés et colorés qui ornent la tour, surmontée d'une cloche fixée à un échafaudage de bois.
L'église est, elle aussi, soigneusement rendue dans ses moindres particularités : la rosace flanquée de deux anges qui orne le front, la délicate sculpture de sa frise, le pavement en brique rouge de son sol et jusqu'aux petites grilles qui en ferment les fenêtres, aux minces colonnes de sa façade qui paraissent se prolonger et soutenir le palais épiscopal, dont on aperçoit un riche plafond à caissons. Plus encore que de précision et de goût du détail, Giotto témoigne ici d'un grand respect de la réalité. Il restitue un espace vivant alliant l'harmonie palpitante de la vie à l'harmonie spirituelle. On a voulu définir la façon de peindre de Giotto comme « une analyse dans la synthèse ». Pour Giotto, comme pour Dante, la réalité renferme une infinie richesse symbolique. Sa représentation attentive, « analytique », des images de la réalité historique n'est autre qu'un décryptage poétique de sa mémoire symbolique. Là réside la grandeur de Giotto, et pas seulement dans son extraordinaire habileté à rendre le réel, habileté qui, selon Boccaccio, conduisit maintes fois ceux qui contemplaient ses oeuvres « à commettre des erreurs et à considérer comme vrai ce qui venait d'être peint ». Giorgio Vasari rapporte à ce propos une anecdote significative : Cimabue, chez qui Giotto était en apprentissage, s'étant un instant éloigné de la fresque qu'il était en train de réaliser, Giotto peignit une mouche sur le nez d'un personnage auquel le maître travaillait. A son retour, celui-ci s'acharna à chasser la mouche qu'il croyait vraie !
Le deuxième épisode, Le don du manteau, est empreint d'un lyrisme intense :
Le froid hivernal qui pousse le tout jeune François à donner son manteau à « un chevalier noble, mais pauvre et mal vêtu », est rendu par les rochers sombres, coupants, qui se détachent sur un ciel balayé par le vent :
La ville, frileusement blottie derrière ses murs d'enceinte, l'église et les rares buissons accentuent l'impression de froidure et de solitude. La scène semble baigner dans un silence de contes de fées, et le regard qu'échangent les deux hommes, tandis que le cheval broute la maigre herbe hivernale, n'en est que plus intense.
Si, dans le premier épisode, le principal protagoniste est la ville, si, dans le second, c'est une reconnaissance intuitive qui interrompt un instant une promenade solitaire, le troisième Le songe du palais tient, quant à lui, de la fable :
François a une vision prophétique de son avenir, il voit non pas un rude ermitage mais « un grand et splendide palais », ce qui peut signifier que le temps de la retraite méditative et solitaire est révolu et qu'il faut reconstruire. Cette fresque se divise en deux parties : à gauche, tandis que François dort, le Christ lui montre de la main, pour reprendre les termes du titulus « un palais splendide et grand avec des armes frappées du signe de la croix ». L'édifice, représenté sur la droite, est légèrement en retrait pour bien montrer qu'il s'agit là d'une vision de l'avenir.
Le renoncement aux biens est sans conteste l'épisode le plus dramatique du cycle :
Mais le drame est ici au service du message spirituel. Les hautes maisons de la ville, témoins de la scène, dessinent une pyramide qui jaillit vers le ciel, donnant à la composition un élan ascensionnel qui suggère précisément l'envolée vers Dieu. Au bras tourné vers le sol de Bernardone, le père de François, que retiennent ses amis, répond le bras levé de François, dont le regard inspiré est détaché de tout ce qu'il se passe sur terre. L'intense mysticisme de François fait en quelque sorte le vide autour de lui, un vide que souligne par contraste la vivacité de la foule, des vêtements colorés, des enfants groupés dans un angle. Cette fresque montre l'évêque voilant affectueusement de son manteau la nudité de François. Le Poverello rend ici ses vêtements à son père. Tandis que l'évêque le couvre de son manteau, François, les yeux levés au ciel, prie. Dans cette scène d'un réalisme saisissant, Giotto s'est attaché à rendre l'expression des différents personnages. On remarquera notamment l'attitude du père, visiblement irrité, que retient un membre de sa suite. Quant à la figure de François, représenté torse nu, elle n'avait jusque-là aucun précédent dans la peinture occidentale.
Sept autres épisodes de la vie de François ornent le mur droit de la basilique d'Assise, si l'on se place par rapport à l'entrée. De même que Innocent III approuvant la règle franciscaine :
tous proclament la sainteté du Poverello. Dans cette fresque, Giotto oppose la communauté des frères vêtus de leurs humbles robes brunes, tous égaux avec leurs tonsures et leurs mains jointes pour la prière, aux membres de la curie, lesquels arborent de riches ornements, des mitres imposantes, des atours précieux, tous les signes extérieurs de l'autorité. Mais cette opposition est le prélude à un partage des tâches, à un respect réciproque. Et les visages des moines expriment, dans la diversité de leurs physionomies populaires, le « saint désir » de courir le monde afin d'être les messagers de la nouvelle parole chrétienne :
Ici, Giotto a restitué avec un soin scrupuleux l'élégant motif décoratif, inspiré de l'art des Cosmati, qui orne les murs de la salle où se déroule cette scène :
Parmi les sept épisodes ornant le mur de droite de la basilique, deux fresques se détachent particulièrement de l'ensemble : Les démons chassés d'Arezzo et La crèche de Greccio.
Dans la première, la puissance d'expression de l'art de Giotto atteint véritablement des sommets :
Dans La Crèche de Greccio :
Dans Le Miracle de la source :
Dans Le Sermon aux oiseaux :
A partir du panneau représentant La Mort de saint François, la participation de Giotto à l'exécution des fresques d'Assise se réduit progressivement. La multiplication des figures du second plan, la stylisation des anges, l'accentuation de l'expression tragique des moines s'éloignent des conceptions picturales du maître, dont on retrouve néanmoins la manière dans la composition générale de l'oeuvre.
De toutes ces oeuvres que je viens de citer, La Mort du Chevalier de Celano est généralement considérée comme la plus achevée :
Ce panneau, qui évoque, comme l'indique son titulus, la mort brutale d'un chevalier que François vient de confesser et d'absoudre, résume en quelque sorte tout l'univers poétique de Giotto. A droite, autour du corps étendu du mourant sont rassemblées des femmes, dont les visages expriment chacun une émotion : la pitié, la douleur, la surprise, le désarroi. A gauche, au-dessous d'un haut balcon, deux moines se tiennent près d'une table dressée, dont chaque élément – la nappe à l'élégant drapé, la carafe, les verres, le couteau, le pain ainsi que le plateau portant la nourriture – est admirablement rendu. A l'intensité du sentiment répond le calme tranquille des habitudes, malgré la brutalité de la douleur, la vie continue. Au centre de la scène se trouve le saint, pleinement convaincu que, en Dieu, tout est vie, même la mort, que tout est grâce.
Le cycle d'Assise répond à un souci affirmé d'unité, même si différents élèves de Giotto ont participé à la réalisation de telle ou telle fresque. Le peintre module l'intensité dramatique des scènes pour faire ressortir toutes les nuances du comportement et du message spirituel de saint François. Au fil des épisodes, il met l'accent sur la tendresse, sur la sérénité, sur le lyrisme, sur l'aura qui se dégage du Poverello. Il fait alterner le miraculeux avec le quotidien, le récit hagiographique avec la relation pure et simple d'un événement particulier. Saint François est à ses yeux un héros humain : il n'est pas un modèle, mais un exemple, dont l'homme reste proche en dépit de la distance infinie qui le sépare de sa sainteté. De ce point de vue, le cycle d'Assise est peut-être l'un des monuments les moins « cléricaux » de l'art religieux. Les six premiers panneaux du cycle évoquent la préparation à la sainteté. François n'y apparaît revêtu de la robe brune que dans le dernier épisode.
Ainsi à Assise, dans cette église baignée par la douce lumière de l'Ombrie, devant tous ces chefs-d'oeuvre qui n'ont rien perdu de leur force, on prend conscience du fait que la renommée de Giotto n'est pas près de s'éteindre. J'ai extrait de mes archives ce texte rédigé le 28 avril 1987 lorsque j'étais étudiante en lettres et civilisation italiennes à l'Université Paris X-Nanterre. Par ce texte et les images qui l'accompagnent, je souhaite prolonger la renommée de Giotto dans la mémoire collective. Puisse ma modeste contribution à raconter quelques panneaux de la vie de saint François apporter à des collégiens, des lycéens et des étudiants de ce début de XXIe siècle à approfondir leurs connaissances sur Giotto en particulier et la culture italienne en général. Xavier Darcos, ex-ministre de l'Education nationale (2007-2009) remplacé en juillet par Luc Châtel a osé déclarer que l'italien est une langue rare. En ma qualité d'italianiste, il m'est difficile d'admettre un tel propos.
Jean Giono, dans son livre Voyage en Italie, écrit : Ici point de cariatides ni de vieux écussons, mais le crépi comme seul peut le faire un bon maçon piémontais. C'est une joie de l'oeil. La chaux est dosée de telle façon qu'elle boit la lumière. Sous certains angles les façades apparaissent irisées comme de la nacre. La peinture des volets est d'une justesse de ton qui dénote un sens très sûr et subtil de la couleur et des rapports. Il y a des verts dégradés sur des roses très fins que le soleil fait éclater dans le mélange de chaux et de sable, des bleus frottés posés sur des blancs gris et cent exemples de cette harmonie de bruns, d'ocres légers, de pourpre éteinte qui est dans Giotto.
Dix ans après la rédaction de mon texte, le 26 septembre 1997, à 2 h 33 du matin, un tremblement de terre ravage Assise. Quelques heures plus tard, le cauchemar recommence. A 11 h 42, une secousse plus violente - 5,8 sur l'échelle de Richter - fait s'effondrer une partie de la voûte de la basilique et cause de nombreuses victimes.
Assise (Ombrie - Italie), Basilique Saint François.
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Prendre Christ en garde à vue (Le baiser de Juda). Scènes de la vie du Christ
Descriptif de la toile «Prendre Christ en garde à vue (Le baiser de Juda). Scènes de la vie du Christ»
“Le baiser de Judas” choque le spectateur avec une intensité sans précédent (et presque impensable pour le début du trecento, lorsque la fresque a été créée), avec une intensité émotionnelle. Nous assistons à une foule agitée, nous voyons de longues torches, des épées et des lances, trembler dans de mauvaises mains contre le ciel bleu nuit et sentir comment l'air est électrifié à la veille des événements. Les gardes sont prêts à arrêter celui que Judas embrasse. La vérité ici est confrontée à la trahison, au bien absolu - au mal. Les visages du Christ et de Jude personnifient cette opposition, ce contraste saisissant.
Voici comment un critique d'art le décrit. Paola Volkovadans le cycle vidéo "Pont sur l'abîme":
“… Le noble et beau visage du Christ: cheveux épais et dorés, sourcils clairs, regard calme, colonne cervicale, visage sérieux et concentré. Donc, Christ - en tant que héros, en tant que personne d'une beauté incroyable - représentera ensuite, cent ans plus tard, la Renaissance italienne. C'est très important: pas un visage épuisé, un corps tourmenté par la souffrance, pas un corps qui saigne sur une croix, pas une chair torturée, mais un bel homme plein de force. Et juste un sanglier noir, un cochon noir s'approche de lui! Si le front du Christ est proéminent, alors il a un concave, comme un Néandertalien; De petits yeux sous les os frontaux se dessinent dans ses yeux. "
Christ est parfait et beau, Judas est laid et gros, les vêtements ne peuvent pas le cacher. Le manteau de Juda sur cette fresque est considéré comme l'une des grandes réalisations picturales de Giotto. Tout d'abord, personne avant lui n'a représenté un vêtement drapé décrivant si fidèlement les contours du corps et traduisant la rapidité du mouvement. Deuxièmement, la décision la plus intéressante en matière de composition de Giotto a été d’écrire le manteau de Judas afin qu’il recouvre presque complètement le Christ, comme s’il l’absorbe.
Une grande partie de ce que nous voyons dans Joott «Le baiser de Judas» apparaît pour la première fois dans l’histoire de la peinture. Pour la première fois, l'artiste décrit ce qu'il appellera plus tard le "duel de vues". Pour la première fois, le canon de peinture d'icônes achevé, issu de la peinture byzantine, remplace une scène réaliste pleine de drame et d'excitation. Pour la première fois, une foule semble si inhomogène. L'apôtre sortit le couteau à pain et, dans un affect, coupa l'oreille du garde. Le prêtre au premier plan pointe avec son doigt: «Emmène-le!» Quelqu'un qui se retourne tire quelqu'un près de lui pour se vêtir. Un garde à côté de Judas portant un haut casque noir, écrasé d'un pied sur un pied à côté de lui. Et quelqu'un (probablement un ange) à l'arrière-plan sonne déjà le cor, anticipant la résurrection du Christ. Barbu et imberbe, sombre et blond, avec des profils individuellement distingués, chaussé et nu-pieds, dans des vêtements de couleurs et de formes différentes, tous démontrent à quel point l’art italien est intéressé par l’avènement de Giotto.
Les fresques bibliques de l'italien Giotto di Bondone étaient si différentes du canon iconographique byzantin (grec) que l'artiste et théoricien de l'art des XIVe et XVe siècles. Cennino Cenniniremarqua spirituellement: "Giotto a traduit la Bible du grec en latin".
Publié par Anna Hier
Jour 1 : Anne et Joachim et la conception de Marie par Giotto
Publié le : 1er Décembre 2014Comme nous l'évoquions en introduction, les Évangiles canoniques du Nouveau Testament ne nomment pas les parents de Marie, mais l'histoire de Joachim et d'Anne apparaît dans l'Évangile apocryphe de Jacques.
Joachim est décrit comme un homme riche et pieux qui donne régulièrement aux pauvres et au temple. Cependant, le couple est sans enfants et s'en désole. Lorsque Joachim se rend à une fête religieuse à Jérusalem, le Grand Prêtre refuse à Joachim de déposer ses offrandes, son infertilité étant le signe qu'il est sous la malédiction de la Loi.
Joachim, tout couvert de honte, n'ose pas rentrer chez lui et se retire dans le désert auprès de ses bergers. Un jour, un ange apparaît à Joachim et Anne pour leur promettre un enfant. Joachim revient à Jérusalem ; de même Anne part à sa rencontre, et ils se retrouvent à la Porte dorée, l'une des portes de l’enceinte de la ville. Joachim et Anne « se serrent dans les bras".
Une des oeuvres les plus célèbres relatant cet épisode a été réalisée par Giotto dans l'église de l'Arena à Padoue au début du XIVe siècle. Dans l'église, Giotto a rempli un programme complexe couvrant le Nouveau Testament et deux sources apocryphes. Les scènes se déroulent sur les deux parois latérales, presque symétriques de la chapelle et sont découpées en tableaux par des cadres en trompe-l’œil. Cette composition suit une logique chronologique, de la vie d’Anne et de Joachim, les parents de la Vierge Marie à celle du Christ, dans le sens horizontal et de haut en bas, comme une bande dessinée géante.
Certains ont voulu voir dans cet épisode de la rencontre, la preuve de la conception sans tache de la mère du Christ. La représentation du baiser des deux époux, et non de leur étreinte à la Porte Dorée, semble constituer une stratégie figurative pour parvenir à exprimer l’idée d’une conception sans acte sexuel.
La scène que nous vous présentons aujourd'hui illustre le moment où le couple se retrouve pour la première fois et partage la joie de se savoir bientôt parents d'un enfant. Tous deux sont complices, dans l'indifférence des témoins de la scène. Les époux s'aiment, ils s'embrassent, isolés du reste du monde par l'auréole des saints. La représentation diffère quelque peu de la source écrite, puisque l'Evangile apocryphe parle d'une "étreinte" et non d'un baiser échangé.
Certains ont voulu voir dans cet épisode de la rencontre, la preuve de la conception sans tache de la mère du Christ. La représentation du baiser des deux époux, et non de leur étreinte à la Porte Dorée, semble constituer une stratégie figurative pour parvenir à exprimer l’idée d’une conception sans acte sexuel.
L'Arrestation de Jésus, Giotto, fresque, vers 1305, 200 × 185 cm, Padoue, Chapelle Scrovegni.
Photo Rue des Archives/PVDE
La scène de l'arrestation du Christ suit directement la prière au mont des Oliviers.
Judas survient, avec « une foule nombreuse armée d'épées et de bâtons ».
Il a convenu de désigner, en l'embrassant, l'homme que les soldats devront arrêter, Jésus.
Recevant ce baiser, celui-ci lui dit : « ”Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le.”
Alors ces gens s'avancèrent, mirent la main sur Jésus et le saisirent » (Matthieu 26, 47-50).
L'Évangile de Jean apporte d'autres précisions. Il parle d'« huissiers » armés et munis de lanternes et de flambeaux.
L'apôtre Pierre s'en prend au serviteur du grand sacrificateur, Malchus, à qui il tranche une oreille, d'un coup d'épée.
L'Évangile de Marc parle d'un « jeune homme » qui s'enfuit, laissant son manteau aux mains de l'homme qui avait voulu le saisir.
Tous ces éléments narratifs composent l'iconographie traditionnelle du thème, et se retrouvent dans la fresque de Giotto : les soldats brandissant piques et flambeaux dans un ciel dont le bleu profond s'est en grande
partie écaillé, affaiblissant l'effet de nocturne voulu par l'artiste ;
Pierre tranchant l'oreille de Malchus, sur la gauche, et, juste devant Malchus, de dos, l'homme attrapant le manteau du jeune homme enfui (et sorti du cadre).
Regards affrontés
L'œuvre fait partie des scènes de la vie du Christ, l'un des trois cycles peints par Giotto dans la chapelle Scrovegni en trois registres superposés (les deux autres étant consacrés à la vie de la Vierge et à celle de ses parents, Anne et Joachim), sous une voûte d'azur profond constellée d'étoiles et ponctuée de médaillons représentant la Vierge, le Christ, les prophètes.
Ce bleu idéal, image de la lumière divine, à l'instar de l'or qu'à la même époque on appliquait dans le fond des retables, se retrouve dans chacune des scènes des parois se déroulant en plein air, morceaux d'azur divin chus
dans les aléas de l'Histoire.
L'Arrestation est une des œuvres les plus célèbres de Giotto, à juste titre car son langage plastique si novateur, véritablement révolutionnaire, s'y trouve comme condensé, et ses qualités exacerbées : la volumétrie des corps impérieusement, souverainement sculptés dans l'espace, mais rendus vivants, mouvants, par la fraîcheur
du coloris et la souplesse des modelés ; rendus vivants, surtout, par l'acuité, l'intensité des expressions, attitudes, gestes, visages, regards.
La foule fait masse et se referme inéluctablement sur le noyau central, la victime, le Christ, qu'absorbe déjà, en premier lieu, le manteau de Judas – manteau jaune, couleur assignée aux Juifs, au Moyen Âge, et infamante,
connotée de trahison.
Que ce grand geste drapé, si enveloppant, soit celui de la trahison, voilà, déjà, qui laisse stupéfait.
Mais c'est le face-à-face des deux hommes, les deux profils affrontés dans la proximité du baiser,
les yeux plongés dans les yeux, c'est cela qui littéralement sidère ; les regards se touchant de si près créent comme une décharge électrique, un éclair jaillit là, de conscience à conscience, qui donne le vertige.
Manuel Jover
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