sâmbătă, 29 iulie 2023

Exposition au musée Manet / Degas

 Exposition au musée

Manet / Degas

Du 28 mars au 23 juillet 2023
Edgar Degas (18341917), Jeune femme à l’Ibis, 185758
Edgar Degas (18341917)
Jeune femme à l’Ibis, 185758
The Metropolitan Museum of Art, New York, EtatsUnis
© The Metropolitan Museum of Art

Rapprocher Manet (1832-1883) et Degas (1834-1917), c’est chercher à comprendre l’un à partir de l’autre, en examinant aussi bien leurs ressemblances que leurs différences, voire leurs divergences. Chez ces acteurs essentiels de la Nouvelle peinture des années 1860-1880, les analogies ne manquent pas, des sujets aux options stylistiques, des lieux où ils exposèrent à ceux où ils se croisèrent, des marchands aux collectionneurs sur lesquels s’appuyèrent leurs carrières indépendantes. La biographie signale d’autres proximités, de l’expérience de la guerre de 1870-1871 jusqu’à la Nouvelle Athènes, ce café de la place Pigalle qui avait le don de stimuler les discussions et d’apaiser les tensions. Car heurts et disputes, il y en eut. Manet ne suit pas Degas dans l’aventure impressionniste, par choix de carrière. Degas lui-même, s’il croit à la force collective, se garde de peindre comme Monet. En ramenant Manet et Degas sous la lumière de leurs contrastes, cette exposition incite à porter un nouveau regard sur la complicité et la durable rivalité de deux créateurs, à maints égards, uniques.

© Musée d’Orsay / Sophie Crépy

Une part importante de mystère entoure les relations de Manet et de Degas. Si tous deux se fréquentent régulièrement et côtoient les mêmes cercles, on ignore la date de leur rencontre et on ne conserve quasiment aucune lettre adressée par l’un à l’autre. Leurs contemporains et leurs biographes sont les principales sources d’information sur leurs rapports faits d’un mélange d’admiration et d’irritation, l’écrivain George Moore évoquant à leur propos une « amitié (…) ébranlée par une rivalité inévitable ». Leurs œuvres révèlent une asymétrie frappante : on ne connaît aucune représentation de Degas par Manet tandis que Degas a fait de nombreux portraits de Manet. L’un d’entre eux était une peinture le montrant en train d’écouter son épouse au piano. Insatisfait par ce tableau qui lui avait été offert, Manet aurait coupé la partie de la toile où était représentée sa femme. Ce geste, d’une grande violence symbolique, serait à l’origine de l’une des plus fameuses brouilles entre les deux artistes.

© Sophie Crépy

Nés à Paris au début de la monarchie de Juillet (1830-1848), Manet et Degas sont les fils aînés de familles bourgeoises aisées. Le père de Manet est un haut fonctionnaire au ministère de la Justice, sa mère une fille de diplomate, filleule du roi de Suède. La famille de Degas appartient au milieu des affaires et de la finance. Après avoir effectué leur scolarité dans des établissements à la réputation solide, Manet et Degas abandonnent leurs études de droit auxquelles leur milieu les prédestinait pour suivre leur vocation artistique. Si ce choix ne s’est pas fait sans heurts dans le cas de Manet, contraint de passer auparavant le concours de l’École navale, auquel il échoue par deux fois, le père de Degas ne semble s’être que faiblement opposé à la décision de son fils. Manet et Degas étudient ensuite chacun auprès de peintres reconnus mais en dehors de l’École des beaux-arts, signe possible d’un précoce désir d’indépendance.

© Sophie Crépy

Légende ou réalité, la rencontre de Manet et Degas aurait eu lieu au musée du Louvre au début des années 1860 devant une peinture de Velázquez dont Degas réalisait la copie gravée. Tous deux ont été habitués depuis leur plus jeune âge à fréquenter les salles du musée en famille. Durant leurs années de formation, leur apprentissage est en partie fondé sur la copie des maîtres anciens au Louvre ou au cabinet des Estampes de la Bibliothèque impériale. Leur situation sociale et familiale leur permet en outre de voyager pour parfaire leur formation et leur culture artistiques. Ils séjournent ainsi plusieurs fois en Italie, au cours des années 1850, où ils découvrent les œuvres des musées et les fresques ornant les monuments. Du côté des maîtres contemporains, c’est vers Ingres et Delacroix que se porte leur admiration. Au-delà de la pratique de la copie, les références à l’art du passé se déclinent de la citation à l’hommage, voire au pastiche.

© Sophie Crépy

Très en vogue sous le Second Empire (1852-1870), le portrait occupe une place importante dans la production des débuts de Manet et de Degas. Peu soucieux d’obtenir des commandes lucratives, ils prennent leurs modèles d’abord dans leur cercle familial et amical, mais ils destinent également au Salon des portraits de personnalités publiques, soulignant ainsi leurs liens avec certain milieux sociaux ou artistiques. Manet aime à traiter ses modèles avec une certaine majesté : ils occupent le cœur de la composition, souvent dans des poses héritées des maîtres anciens, et leur présence est magnifiée par les couleurs vives de leurs habits ou des accessoires qui les entourent. La palette de Degas est plus sourde. Il cherche avant tout à saisir les « gens dans des attitudes familières et typiques », et s’intéresse autant au pouvoir expressif des corps qu’à celui des visages.

© Sophie Crépy

Pas plus Manet que Degas, aucun débutant ne saurait se soustraire au Salon au cours des années 1860. Abrité par l’ancien palais de l’Industrie, imposant vestige de l’Exposition universelle de 1855, le Salon est annuel depuis 1863 et son jury de plus en plus libéral. Cette manifestation héritée de l’Ancien régime réunit des milliers de peintures, sculptures, œuvres sur papier. Elle attire près de 500 000 visiteurs et mobilise l’attention des grands journaux et des collectionneurs. Jusqu’au plein essor des galeries d’art, le Salon constitue en France le principal lieu d’exposition des artistes vivants. C’est au Salon que le mécénat d’État manifeste son action au moyen d’achats, de récompenses et d’encouragements. Manet y expose dès 1861, Degas en 1865, avec des chances inégales, car le premier intègre mieux que le second les attentes de l’époque.

© Sophie Crépy

Le salon que les parents de Berthe Morisot ouvrent aux artistes, musiciens et écrivains, sous le Second Empire, est un foyer de modernité. Femmes et hommes y parlent d’art ou de politique sur un pied d’égalité. Les divergences esthétiques s’effacent devant le plaisir d’en discuter. Berthe et sa sœur Edma, formées à la peinture et dotées d’un atelier familial, débutent au Salon en 1864. Mais c’est la fréquentation de Fantin-Latour, puis de Manet et Degas, qui pousse la première à sauter le pas et à entamer une véritable carrière, fût-elle contrainte par les règles sociales du temps. Manet prend une place grandissante dans ce cercle à partir de 1868-1869 et multiplie les portraits de Berthe Morisot. Ils sont autant d’incarnations de la Parisienne élégante et singulière, complice et actrice de la Nouvelle peinture. Du reste, à rebours de Manet, dont elle épouse l’un des frères en 1874, Berthe s’associe durablement, cette année-là, à l’aventure impressionniste.



L’essor des courses hippiques, venues d’Angleterre à la fin du XVIIIe siècle, rencontre pleinement les aspirations de la modernité parisienne des années 1860. Eclat social, intérêt d’argent, compétition sportive, expérience de la vitesse, les avantages du sujet sont certains. Degas s’en distingue par la saisie d’une autre temporalité. Plus que la cavalcade, il privilégie le moment qui précède le départ, le défi psychologique des jockeys, la fine chorégraphie des montures qui piaffent. Manet lui n’est que galop, explosion visuelle, temps accéléré.


L’histoire de l’impressionnisme s’est bâtie sur un amusant chassé-croisé : après la guerre de 1870-1871, Manet se serait tenu à distance du mouvement dissident, alors même que sa peinture, y aurait fait allégeance ; inversement, Degas n’aurait jamais tant affiché son mépris d’une approche trop sensible du réel qu’au cours de ces mêmes années, qui le voient prendre la tête du groupe. Mais Degas et Manet n’ignorent pas la poussée d’un certain « paysagisme de plein air » qui repose sur l’unité du motif et la mobilité de la perception. Ils s’en emparent assez vite, avec audace, et en usent selon les besoins de leurs carrières, car les débouchés commerciaux à Londres et Paris des marines et des scènes de bain ne sont pas à bouder. « Rendre son impression », pour citer Manet lui-même, apparaît comme une nécessité. Toutefois, comme Degas, il forge un impressionnisme à part.


Peintre savant et lettré, Manet a connu, parfois étroitement, les plus grands écrivains de son époque, et les a associés à son œuvre par le portrait et la communauté d’inspiration. Sa dette envers Baudelaire, Zola, Astruc et Mallarmé, parmi d’autres, a laissé de nombreuses traces dans sa peinture et sa vie. Plus les artistes cherchent à s’émanciper des institutions, plus s’installe une connivence avec les intermédiaires du marché et la presse. La médiation publicitaire que requièrent les choix de Manet est vitale. N’entend-il pas exposer au Salon jusqu’à sa mort, sous tous les régimes et tous les jurys ? Degas aura moins fait étalage de ses goûts et de ses relations littéraires avant les années 1870. C’est alors qu’il peint et expose, en manière de gratitude, ses portraits aigus et mordants d’Edmond Duranty ou de Diego Martelli, plumes acerbes de la critique d’art. La faune des cafés et l’autorité de quelques bohèmes, tels le peintre graveur Marcellin Desboutins ou l’écrivain irlandais George Moore, trouvent aussi des échos chez Manet.


Manet et Degas sont très attachés à leur ville natale. À travers des figures de Parisiennes dans leur environnement familier se noue un dialogue étroit entre les deux artistes, dont les sujets et l’approche font écho aux romans naturalistes des frères Goncourt ou d’Émile Zola. Manet et Degas font émerger une « Nouvelle Peinture », appelée de ses vœux par le romancier et critique d’art Louis-Edmond Duranty, dans laquelle la représentation des femmes de différentes catégories sociales évoquant la vie moderne joue un rôle déterminant. S’intéressant à des sujets semblables, ils cherchent à insuffler à leurs œuvres, posées et exécutées en atelier, la spontanéité de scènes prises sur le vif.


Parmi les traits de personnalité qui distinguent Manet et Degas figurent en bonne place leurs relations avec les femmes. Décrit comme un séducteur, Manet, n’est, de l’avis de ses contemporains, jamais aussi à son aise qu’entouré d’une société féminine. Tout aussi proverbiale est, à l’inverse, la réserve de Degas, dont la vie « fut toujours mystérieuse au point de vue sentimental ». Il n’aurait, de son propre aveu, « jamais fait beaucoup la noce ». Ces différences de tempérament se retrouvent en partie dans leurs œuvres : tandis que Manet représente des femmes dont la pose et le regard traduisent une certaine assurance, les relations entre hommes et femmes apparaissent presque toujours troublées ou déséquilibrées dans les œuvres de Degas. Le traitement qu’il accorde au nu féminin lui vaut la réputation d’un artiste misogyne. La réalité est autrement plus complexe et l’on perçoit dans ses écrits la sensibilité d’un homme préoccupé par son cœur et rêvant de félicité conjugale.


Depuis la Renaissance et la glorification de l’héritage gréco-romain, le nu jouissait d’un rôle central dans l’apprentissage des arts du dessin, voués à cerner ce que la nature offrait de plus harmonieux. La théorie, dite « classique » fait du corps humain l’image de la perfection. En le dissociant de la nudité et donc du corps sexué, en érigeant la statuaire en modèle de la peinture, un idéal esthétique s’était fixé et se perpétuait à travers la copie. Contester cette discipline revenait à renverser tout un ordre de valeurs. Romantiques, comme Delacroix, et Réalistes, comme Courbet, s’y emploient au XIXe siècle, avant-même que la photographie et la Nouvelle peinture ne dissolvent les canons de beauté au profit de la réalité corporelle. D’Olympia de Manet aux « baigneuses en chambre » de Degas, la nudité féminine, loin de n’être qu’objet, affiche une vérité aussi engageante que dérangeante.


En républicain convaincu, Manet expose régulièrement des œuvres en lien avec des événements qui le touchent ou le révoltent en tant que citoyen. Il vise à frapper l’opinion, tandis que Degas laisse toujours l’actualité hors de son œuvre publique. Leur relation débute alors que le continent américain est marqué par la guerre de Sécession (1861-1865) puis l’exécution de l’empereur Maximilien au Mexique (1867), autant de sujets dont se saisit Manet. Ces événements touchent directement la famille maternelle de Degas qui vit du commerce du coton à La Nouvelle Orléans. En juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Les deux peintres sont réquisitionnés au sein de la Garde nationale et demeurent à Paris pour défendre la ville durant le siège. Ils partagent les longues semaines marquées par l’attente, le froid et les privations et se distinguent des nombreux artistes ayant fui le pays. En 1872, Degas visite pour la première fois sa famille à La Nouvelle Orléans. Durant son séjour, il évoque plusieurs fois Manet qui « verrait ici de belles choses ». Il découvre une société encore marquée par le système esclavagiste.

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