«Tout ce qui était mortel à Albrecht Dürer se trouve sous ce monticule», lit-on dans l'épitaphe sur la tombe du maître de la Renaissance du Nord, Albrecht Dürer. La suggestion de l'élégie de son statut surhumain n'est pas sans mérite.
Lorsque Dürer mourut en 1528 à l'âge de 56 ans, sa renommée était sans précédent pour aucun artiste du nord des Alpes. Contemporain de Michel-Ange, Dürer a épousé les traditions et les techniques de l'Italie de la Renaissance (et y avait voyagé) tout en mettant l'accent de manière créative sur la gravure et en poursuivant la culture de la tradition nordique du détail méticuleux.
Peut-être le plus fascinant (du moins à notre époque contemporaine), Dürer a été le premier artiste à maîtriser l'autoportrait. D'autres artistes avaient inclus leurs ressemblances avant Dürer , mais Dürer est revenu sur le sujet à plusieurs reprises, le récompensant avec ses propres tropes et techniques.
Albrecht Dürer, Autoportrait à l'âge de 13 ans (1484). Gracieuseté de Wikimedia Commons.
Il a peint trois autoportraits au cours de cette vie et en a réalisé plusieurs autres sous forme de gravures et de dessins (le premier qu'il a réalisé à la pointe d'argent à l'âge de 13 ans). De loin, le plus connu de tous ces portraits est le dernier qu'il a peint, réalisé à l'âge de 28 ans, en 1500. L'image est largement considérée comme l'un des autoportraits les plus influents de l'histoire.
Alors que cette semaine marque le 550e anniversaire de la naissance de Dürer le 21 mai 1471, nous avons décidé de jeter un œil à cette image infâme. Voici trois faits sur Autoportrait (1500) qui pourraient changer la façon dont vous voyez la peinture de Dürer - et l'art de l'autoportrait en général.
1) Oui, Dürer se dépeint comme un Dieu - mais pas (totalement) par arrogance
Une partie de la renommée de ce tableau vient d'une provocation apparente: Dürer s'est représenté avec une ressemblance frappante avec Jésus-Christ (ou du moins, avec la figure du Christ connue à travers l'histoire de l'art).
Du vivant de Dürer, il convient de noter, on croyait qu'il y avait eu un témoignage oculaire (maintenant démystifié) de Jésus trouvé dans la «Lettre de Lentulus», écrite par le fonctionnaire romain Lentulus, un prétendu contemporain de Jésus. L'épître avait été publiée pour la première fois dans les années 1400. Alors qu'aujourd'hui on pense qu'il s'agit d'un faux, sa description des traits du Christ a eu une grande influence sur la façon dont il a été imaginé - et les traits juvéniles, barbus et aux cheveux longs de Dürer correspondent au récit de Lentulus.
Mais est-ce juste une coïncidence? Plus encore que les traits de l'autoportrait, c'est la composition qui martèle vraiment l'association. Jusqu'à cette époque, les portraits demi-longueur entièrement frontaux du type de l' Autoportrait de 1500 avaient été réservés presque exclusivement aux représentations du Christ.
Albrecht Dürer, Autoportrait (Madrid) (1498). Collection du el Museo del Prado.
La plupart des portraits de l'époque correspondaient à la position des trois quarts, comme on le voit dans l' autoportrait de Dürer d' à peine deux ans auparavant. Là, il se dépeint comme un dandy raffiné - une image très différente de la présentation intense et frontale.
Contrairement au paysage italien à l'arrière-plan de l'autoportrait de 1498, le plus célèbre autoportrait de 1500 a également un fond noir aplati, semblable à une icône. Dürer avait très probablement vu - ou vu des œuvres basées sur - Vera Icon de Jan van Eyck , qui sert de point de départ pour la composition de son autoportrait.
Copie d'après l' icône Vera de Van Eyck (1439). Collection de l'Alte Pinakothek, Munich.
Le panneau maintenant perdu de Van Eyck renvoie à des icônes religieuses qui cherchent à recréer la «vraie image» biblique du Christ - ce que l'on croyait miraculeusement apparu sur le voile de Sainte Véronique après avoir séché son front sur la route du Golgotha.
De tels dispositifs suggèrent certainement à Dürer de prétendre qu'il était un dieu de l'art. Ainsi, dans les années 1940, le célèbre historien de l'art Erwin Panofsky a posé la question qui continue de tourmenter les historiens aujourd'hui: « Comment un artiste aussi pieux et humble que Dürer aurait-il pu recourir à un procédé que des hommes moins religieux auraient considéré comme blasphématoire?»
Mais si cela peut sembler arrogant, à l'époque de l'artiste, le respect de soi était, en fait, perçu comme le chemin vers le Christ. «L'amour de soi et l'amour de Dieu existent dans une symbiose difficile dans la piété pré-Réforme», a écrit Joseph Leo Koerner dans son livre Le moment de l'autoportrait dans l'art de la Renaissance allemande , «Nicolas de Cusa, rappelons-nous, considère le narcissisme comme le point de départ de la dévotion. Nous embrassons Dieu, dans les images duquel nous sommes faits, non pas au départ parce que nous le reconnaissons comme notre créateur mais parce que nous voyons son visage comme le reflet du nôtre, que nous aimons par-dessus tout.
2) Son Signature Autoportrait est vraiment une signature auto-portrait
Détail de l' autoportrait d'Albrecht Dürer (1500).
La décision de Dürer, 28 ans, de se représenter était surprenante à son époque, à la fois dans ses techniques modernes et dans sa décision de se centrer sur le sujet. «L'autoportrait de 1500 réalise une sorte de révolution copernicienne de l'image, où ce qui était périphérique dans la peinture devient central», a noté Koerner.
Ce n'est pas seulement qu'il a mis sa propre image au centre de l'œuvre non plus. Il a également donné une nouvelle importance à la signature de l'artiste.
Détail de l' autoportrait d'Albrecht Dürer (1500).
Ici, sa signature avec l'année 1500 et une inscription «Moi, Albrecht Dürer de Nuremberg me suis représenté dans mes propres peintures à l'âge de vingt-huit ans» apparaissent de chaque côté des yeux du Christ, renforçant l'idée de l'équivalence entre l'artiste et Christ.
La signature «AD» unique de Dürer, semblable à un monogramme, avec un grand A avec un D en dessous, avait également une association religieuse et temporelle, rappelant «anno domini»: «dans l'année de notre Seigneur».
3) Une main peut signifier tellement
Détail de l' autoportrait d'Albrecht Dürer (1500).
Beaucoup ont noté le geste inhabituel de la main de l'artiste en pinçant la fourrure du manteau. "C'est un détail magnifique, voire pervers", a noté Jason Farago dans une récente lecture attentive du tableau dans le New York Times , "un détail qui replonge cette pseudo-icône dans le royaume des sens."
En plus de sa sensualité moderne, le geste a également, une fois de plus, souligné l'image de soi montante de l'artiste de la Renaissance. Le manteau de fourrure de Dürer dans la peinture aurait été associé aux classes supérieures.
Les historiens de l'art ont également postulé que le manteau était en fourrure de martre, couramment utilisée dans les pinceaux de l'époque. Dürer doigter les poils ferait ainsi un lien direct entre les signes extérieurs d'un statut social élevé et le travail de l'artiste.
D'autres ont noté que les doigts de Dürer pourraient faire écho aux formes de «AD» dans un geste autoréférentiel.
Albrecht Dürer, L' Homme des Douleurs (1515). Collection du Metropolitan Museum of Art.
Il y a encore une autre interprétation de la mandorle (c'est-à-dire de l'ovale pointu) que Dürer forme avec ses doigts: elle peut être une allusion à l' ostentatio vulnéraum ou aux blessures de crucifixion. En particulier, il imite la blessure latérale du Christ, la dernière blessure infligée par un soldat romain qui a lancé le côté du Christ pour confirmer sa mort.
Les peintures et sculptures représentant Jésus montrant ses blessures étaient un motif populaire connu sous le nom de «Christ en tant qu'homme des douleurs». C'était celui avec lequel Dürer était familier, ayant créé plusieurs des siens et se représentant même comme tel dans un dessin ultérieur connu sous le nom de Autoportrait de Brême .
Albrecht Dürer, Autoportrait, malade (1509/11). Collection de la Kunsthalle Bremen.
Théologiquement, on croyait que la division du côté du Christ préfigurait l'ouverture de la poitrine d'Adam pour prendre la côte utilisée pour former Eve. Ainsi, de la division du côté d'Adam naît l'humanité, et de la division du côté du Christ naît le salut de l'humanité.
En ce sens, le geste énigmatique de Dürer peut une fois de plus reconnaître Dieu comme la source de ses propres capacités créatrices. Comme l'explique Koerner, «l'artiste n'est divin que parce que Dieu est Deus Artifex ; l'homme peut créer de «nouvelles créatures» plutôt que simplement imiter les choses créées, uniquement parce qu'il imite la création du monde. »
Le terme baroque désigne une forme d’art, née en Italie, qui s’épanouit entre la fin de la Renaissance et le retour au classicisme. Dominant l'art et l'architecture de l'Europe au xviie s. et dans la première moitié du xviiie s., son influence se poursuit en Amérique latine jusqu'à l'aube du xixe s.
1. LE STYLE BAROQUE
À la fin du xviiie s., est qualifié de baroque un style artistique contraire aux règles classiques et jugé extravagant, voire de mauvais goût. Il faudra attendre la fin de l'emprise du classicisme, en art comme en littérature, pour que « baroque » perde son sens péjoratif et que soit reconnue sa contribution positive et originale dans tous les domaines de l'art, l'architecture, la sculpture, la peinture, ainsi que la musique et la littérature.
Dans les arts plastiques, le baroque propose un style à la fois très structuré, qui joue abondamment de la symétrie, et très dynamique : il insère ses formes dans un puissant mouvement de volutes et de spirales ; par ses effets dramatiques, sa recherche du spectaculaire, il vise à susciter l'émotion. Les caractéristiques qui le définissent trouvent sinon leur justification du moins nombre d'éléments d'explication dans le contexte politique, culturel et religieux bien particulier qui l'a vu naître. Un contexte historique qui permet également de comprendre comment et où ce style s'est répandu.
1.1. LE CONTEXTE HISTORIQUE
C'est dans les pays catholiques que l'art baroque s'est le mieux développé, surtout dans les dernières années de la Contre-Réforme, aux environs de 1600. Pour s'opposer à la progression du protestantisme, l'Église romaine, après le concile de Trente (qui s'achève en 1563), réaffirme ses doctrines traditionnelles et s'engage dans une intense activité missionnaire. En soutien à cet effort, elle va opposer des représentations sacrées grandioses et pathétiques à la prohibition des images prônée par les partisans du culte réformé. Le réalisme et la vraisemblance que les artistes baroques prêtent à leurs représentations du ciel et des saints concourent à cette pédagogie esthétique, tout comme les cadres pompeux dans lesquels les placent les architectes.
Associé aux régimes autoritaires liés à l'Église, le baroque s'épanouit particulièrement dans les États traditionalistes, l'Italie, l'Espagne et certains pays germaniques. Dans les sociétés plus progressistes de l'Europe du Nord, en particulier dans les pays gagnés par la Réforme, il ne se développe que dans l'architecture civile : les architectes baroques conçoivent de somptueux palais pour les monarques européens qui, quelle que soit leur foi, entendent marquer leur puissance par leur magnificence.
1.2. ORIGINES ARTISTIQUES
Le style baroque doit beaucoup à la Renaissance et à sa phase ultime, que l’on nomme maniérisme. À titre d’exemple, les tourbillons inverses des élus et des damnés dans la fresque du Jugement dernier, que Michel-Ange peint pour la chapelle Sixtine de 1536 à 1541, figurent un des mouvements caractéristiques du baroque.
Le style baroque est également influencé – comme le classicisme d'ailleurs – par l'art antique grec et romain, et il use volontiers des ordres architectoniques classiques et de la représentation idéalisée de l'être humain.
Certaines formules typiques du baroque, notamment les façades incurvées, les plans ovales et l'utilisation du trompe-l'œil, ont d'autre part été souvent employées ici ou là : c'est donc l'emploi systématique d'un certain nombre d'éléments stylistiques préexistants, joints à des apports en nombre restreint, qui constitue l'originalité du baroque.
1.3. CARACTÉRISTIQUES DU STYLE BAROQUE
ARCHITECTURE
En architecture, outre l'ovalisation des espaces et l'emploi de la double courbure – concave sur les côtés, convexe au milieu –, les éléments propres au baroque sont les colonnes torses et les frontons spectaculaires. Le fronton baroque présente toutes sortes de variations : brisé en son centre, agrémenté de côtés en volutes, ou incurvé dans son plan vertical.
SCULPTURE
La sculpture baroque se caractérise par des draperies flottantes, des modelés réalistes, l'utilisation du bronze et des marbres colorés, et souvent la combinaison de plusieurs matériaux. Elle se traduit souvent par une surcharge décorative.
PEINTURE
En peinture, le style baroque multiplie les effets d'illusion, associe la perspective au jeu de la lumière et de l'ombre pour obtenir un nouveau type de réalisme.
Tant en peinture qu'en sculpture, l'expression des émotions est intense et insistante, depuis les petits dessins à la plume et les esquisses à l'huile jusqu'aux œuvres les plus monumentales, comme les tombeaux et les autels, où plusieurs disciplines artistiques sont associées dans la recherche de l'effet le plus inattendu et le plus théâtral.
1.4. BAROQUE, ROCAILLE ET ROCOCO
Se pose la question des mutations du baroque, dans sa dernière phase, au cours du xviiie s. Le rocaille fait-il partie du phénomène baroque, ou faut-il le distinguer comme étant d'une nature toute différente ? Et le rococo : rocaille et rococo sont-ils deux termes interchangeables ?
Le débat reste ouvert, néanmoins admettons la filiation évidente du rococo et du rocaille par rapport au baroque : on peut les considérer en effet comme deux manifestations tardives du baroque, mais bien distinctes entre elles et pas forcément concomitantes. Ainsi, le rocaille concerne la France et une mode très particulière qui régna surtout dans les arts décoratifs de la première moitié du xviiie s., avec un apogée entre 1720 et 1740 ; le rococo constitue l' épanouissement tardif – entre 1720 et 1780 –, principalement en France et en Allemagne, d'un style de construction et de décor qui dérive manifestement du baroque italien, mais reçoit aussi des apports français et notamment rocaille.
1.5. LA DIFFUSION DU BAROQUE
Outre l'Italie, les principales aires d'extension du baroque sont : – d'une part, la péninsule Ibérique avec ses dépendances américaines, qui produit ce que l'on appelle parfois le baroque colonial, – d'autre part le sud de l'Europe centrale, c'est-à-dire les pays germaniques des Alpes et du Danube, avec des prolongements jusqu'en pays slave, en Bohême (aujourd'hui partie occidentale de la République tchèque) et en Pologne.
Ce sont là des pays éminemment catholiques et, pour ce qui concerne l'Allemagne du Sud et la Bohême, d'autant plus qu'ils sont en contact constant et parfois violent avec le monde de la Réforme.
2. LE BAROQUE ITALIEN
2.1. ARCHITECTURE
ROME
Dans les premières années du xviie s., en Italie, et en particulier à Rome, se trouvent concentrés les meilleurs artistes d'Europe. Le siège de la papauté est le lieu privilégié de l'éclosion d'un style en accord avec la Contre-Réforme. Les multiples ordres religieux font construire ou embellir quantité d'églises ou de couvents, et les prélats aménagent de riches demeures.
L’exemple de l'église du Gesù
Le Gesù, principale église des Jésuites élevée à partir de 1568 par Vignole, allie sobriété des lignes et faste de la décoration. Il sert de modèle très libre aux architectes, qui conservent souvent son fronton triangulaire en l'agrémentant tantôt de volutes, tantôt de colonnes.
Maderno
Le premier artiste marquant, Carlo Maderno, donne dans la façade de Santa Susanna les prototypes des frontispices d'églises baroques. L’influence de la façade du Gesù y est perceptible mais ce qui est nouveau ici, c'est l'articulation plus accentuée, les décrochements, le souci d'éviter la platitude et d'animer la surface. Les éléments ne sont plus fonctionnels, mais concourent à l'effet, un effet volontiers théâtral, avec des jeux subtils d'ombres et de lumière.
Le Bernin
Ces tendances vont s'affirmer avec le Bernin. Gian Lorenzo Bernini, dit le Cavalier Bernin, architecte, peintre et sculpteur, travaille de 1624 à 1678 à la décoration de Saint-Pierre de Rome, qui lui doit sa colonnade, les tombeaux des papes Urbain VIII et Alexandre VII, le baldaquin coiffant le maître-autel et l'autel de la « chaire de saint Pierre ». Cette remarquable concentration d'œuvres est une éclatante manifestation de la volonté de l'Église catholique dans la dernière période de la Contre-Réforme.
Il est incontestable que la personnalité de Michel-Ange hante le Bernin. Michel-Ange, dans son dynamisme tourmenté qui va jusqu'au monstrueux, est bien un ancêtre du baroque. C'est sous la coupole de Michel-Ange que le Bernin place son colossal baldaquin, et il fallait la chaire de Saint-Pierre, avec sa gloire rayonnante qui fut tant imitée, pour compléter cet ensemble solennel, comme à l'extérieur la colonnade, solution audacieuse mais parfaite.
Dans une église comme Sant'Andrea al Quirinale, le Bernin fait un emploi systématique de la ligne courbe et ajoute à la lumière la couleur des matériaux, le contraste des marbres polychromes, du bronze, du stuc. La féerie se précise, toujours dans une note grandiose, et cette féerie est parfaitement organisée, savamment orchestrée. Tous les arts interviennent, non pas chacun à sa place et selon ses propres lois, mais intégrés dans une synthèse où tous se plient et se renforcent ; l'œuvre est avant tout un prodigieux travail d'imagination qui cherche constamment à se renouveler, à aller toujours plus loin dans la contrainte de la matière.
Les réalisations du Bernin dans le domaine de l'architecture civile (palais Barberini) et de l'urbanisme (fontaines de la place Navone) sont tout aussi exemplaires.
Borromini
Architecte avant tout, Borromini fait franchir à l'édifice baroque l'étape décisive qui lui confère une personnalité encore plus accusée. Le Bernin, par souci du monumental, n'avait pas su franchir cette limite.
Borromini joue inlassablement avec les lignes et les surfaces, ne leur laissant aucun répit, préférant toujours sinuosité, ondulation à ce qui est droit et plat, obsédé par l'ovale et l'ellipse. Ses principales œuvres, San Carlino alle Quattro Fontane, Sant'Ivo alla Sapienza, la façade de Sant'Agnese, exerceront une influence très longue et très lointaine, et la meilleure part de l'architecture baroque danubienne lui doit beaucoup.
Guarini
Causant un ébranlement comparable à celui de Borromini, le père Guarino Guarini a laissé ses œuvres majeures dans le nord, à Turin, non loin du domaine germanique. Moine théatin ayant mené une vie errante, il est un théoricien, un visionnaire plus qu’un constructeur. Lui aussi joue avec les lignes courbes, dénature et torture les ordres classiques, cherche les effets d'éclairages mystérieux et des solutions inédites pour les voûtes.
À côté de ces géants, les autres architectes pâlissent quelque peu, même s'ils ont produit davantage. Ainsi Carlo Rainaldi (1611-1691), à qui Rome doit quelques-unes de ses plus belles églises (Santa Maria in Campitelli) ou Pierre de Cortone (1596-1669), heureusement inspiré lui aussi, et dont le génie éclate dans le décor peint.
Plus tard, au xviiie s., les grandes traditions sont maintenues à Rome avec Alessandro Galilei (1691-1736) [façade de Saint-Jean-de-Latran] et Fernandino Fuga (1699-1781) [palais Corsini, Santa Maria della Morte].
HORS DE ROME
Au Piémont, Juvara se pose en rival plus qu'en continuateur de Guarini, sensible à la majesté plus qu'au jeu des courbes (palais Madame à Turin, château de Stupinigi). Son audience internationale étend son influence au xviiie s. Bernardo Vittone (vers 1705-1770) continue les recherches de Guarini dans un esprit rococo.
À Venise, Longhena opte pour un art essentiellement scénographique, et son chef-d'œuvre, Santa Maria della Salute, est partie intégrante du décor de la lagune.
Des artistes originaires de Bologne, les Galli, dits Bibiena, acquièrent au xviiie s. un renom international dans le domaine de l'architecture, de la peinture en trompe l'œil et de la scénographie ; ils construisent un peu partout des salles d'opéra et imaginent des décors de scène en spéculant sur les effets de perspective.
On retrouve le même goût du spectacle dans les grands centres urbains : Gênes, avec ses palais ; Naples, qui se baroquisera avec Luigi Vanvitelli. Mais des variantes régionales apparaissent à Lecce, dont les façades surchargées suggèrent une influence espagnole.
La Sicile une fois encore se montre originale dans son interprétation ; après un tremblement de terre (1693), toute une ville baroque surgit, Noto, restée telle qu'elle a été conçue dans son urbanisme concerté.
2.2. UN ART DE FÊTE
DU SPECTACLE À L'ILLUSION
Le souci de constituer des ensembles, des perspectives, des points de vue appartient bien à l'esthétique baroque, qui sait y intégrer même les monuments d'un autre âge. On peut le sentir à Rome sur la place Navone, où est reprise la forme allongée du stade de Domitien, ponctuée en son centre par les fontaines du Bernin, magnifiée par la grandiose composition de Borromini pour Sant'Agnese, bordée de palais, le tout organisé pour la scénographie.
La place était le lieu privilégié des grands déploiements féeriques pour les célébrations, avec feux d'artifice, architectures éphémères, voire joutes nautiques. Le goût de la fête transparaît non seulement dans les façades mais aussi dans les intérieurs. Là scintillent les ors et les bronzes, tandis qu'à la polychromie des marbres répond le chatoiement des fresques mettant en tourbillon un peuple allègre et coloré ; là, les architectures feintes et audacieuses où se meuvent les personnages semblent prolonger à l'infini l'architecture réelle dans une illusion, un trompe-l'œil qui les mêle intimement ; à ces troupes peintes se joignent les groupes en stuc, débordant sur les arcs et les corniches au risque de noyer quelque peu les membrures de la construction, tout étant sacrifié à l'effet de féerie, voire même de fantasmagorie.
L'APPEL À LA SENSIBILITÉ
Le baroque s'écarte du réel pour verser dans l'évocation d'un monde supraterrestre, où tout devient mystère de l'au-delà, vision immatérielle, assemblée céleste, domaine où la raison cède la place à la mystique, et cela dans une imagerie complexe, parfois ésotérique pour l'homme du xxe s., qui se trouve face à une symbolique chrétienne mêlée à une mythologie païenne annexée sans gêne. Cet univers est celui de la grâce, de la grâce sensible qui aboutit à l'optimisme et à la ferveur, à l'extase dans la communion des saints, et qui renie la sévérité et le pragmatisme de la Renaissance. On se défie de l'intelligence, c'est aux sens que l'on s'adresse.
Le système artistique du baroque répond donc bien à une conception du monde, des rapports de l'homme et de Dieu, très spécifique, éloignée aussi bien de la philosophie antique que de la théologie médiévale et des remises en question de la Renaissance.
2.3. SCULPTURE
Le baroque ne se résume pas seulement à l’architecture. Il est bien davantage un art du décor qui englobe toutes les disciplines, et en premier lieu celle du sculpteur. La sculpture décorative élabore un répertoire de prédilection, cartouches et trophées, formes typiquement baroques dans leur variété infinie. La statuaire tout naturellement participe au faste et au spectacle, et cela d'autant plus facilement que le stuc lui permet toutes les contorsions, toutes les fantaisies.
L’ŒUVRE DU BERNIN ET SON INFLUENCE
À Rome, le grand maître, là encore, est le Bernin. Pour la chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria, il sculpte dans le marbre blanc la très théâtrale Extase de sainte Thérèse (1644-1647). Par ailleurs, excellent portraitiste, il est l'auteur de nombreux bustes, dont celui de Louis XIV. Il montre à la fois sa piété envers l'Antiquité et sa formation maniériste dans les grands groupes en marbre de la villa Borghèse, d'où procède une bonne partie de ceux qui peuplèrent les parcs royaux et princiers de l'Europe.
Son influence dans le domaine de la sculpture religieuse est encore plus considérable : le type de l'ange berninien envahit le monde occidental, de même que ses saints révulsés dans l'extase ou pantelants dans le martyre.
Plus faible en regard apparaît le retentissement de l'œuvre de son rival, l'Algarde, qui se veut plus respectueux de l'héritage antique. Le drapé berninien, défiant les lois de la pesanteur et se jouant de la matière, emporte l'adhésion enthousiaste, même si les émules l'alourdissent. Il fera école jusqu'à Canova, et se réclameront de lui des artistes comme Domenico Guidi (1625-1701), Antonio Raggi (1624-1686), Camillo Rusconi (1658-1728) et Filippo Della Valle (1697-1768).
L'empreinte du Bernin se retrouve aussi chez des étrangers sensibles à sa magie et à son art extrême d'animer le marbre (c'est le cas de Pierre Legros (1666-1718) et de Michel-Ange Slodtz) et dans les autres centres d'Italie : – à Gênes notamment, où elle se combine avec le souvenir de cet autre grand sculpteur baroque qu'est Pierre Puget et où, autour de Glacomo Filippo Parodi (1630-1702) et de Francesco Schiaffino (vers 1690-1765), s'organise une véritable exportation de statuaire religieuse dans toute l'Europe ; – à Venise et dans le Nord avec Giovanni Bonazza (actif entre 1695 et 1730), où les formes berniniennes s'amenuisent, s'énervent, frôlent la caricature et sont prêtes à passer les Alpes pour alimenter le rococo germanique ; – à Florence avec Giovanni Batista Foggini (1652-1725), – à Naples avec Antonio Corradini (1668-1752) et Francesco Queirolo (1704-1762), – en Sicile avec l'infatigable Serpotta, qui pousse le stuc dans ses dernières limites.
LA STATUAIRE MYTHOLOGIQUE
À côté de la sculpture d'église prospère une statuaire mythologique qui peuple les jardins et les salons et qui ressortit bien à la même esthétique. Au cours du xviiie s., l'art de cour et l'esprit galant venus de France pénètrent la péninsule italienne et s'adaptent sans peine au système baroque, comme on peut le constater dans les jardins de Caserte. Et jamais la sculpture liée à l'urbanisme n'aura créé une œuvre plus séduisante, dans son fracassement d'eau limpide, que la fontaine de Trevi à Rome. Le bassin de Neptune à Versailles, qui en procède, n'atteint pas à son allégresse, de même que l'Enlèvement de Proserpine de Girardon, malgré son habileté, reste en deçà du groupe souverainement traité par le Bernin.
2.4. PEINTURE
HÉRITAGES ET RÉSISTANCES
Le problème de la peinture baroque est plus complexe, car les traditions léguées par la Renaissance et le maniérisme restent plus vivaces et apparemment moins empressées à se plier au nouveau système, à la nouvelle esthétique.
Il subsiste toujours un courant classique et Poussin, à Rome, poursuit son œuvre au-delà des modes. Il en est de même d'un Vélasquez en Espagne ou d'un Rembrandt en Hollande, en apparence insensibles aux impératifs baroques ; une analyse sans préjugé de leur œuvre révèle néanmoins qu'ils ont été touchés eux aussi par cette nouvelle vision du monde et n'ont pu s'en abstraire complètement.
Autre courant de l'époque, le caravagisme n'est-il pas en harmonie avec le baroque, qui lui aussi étudie les effets d'ombre et de lumière ? En vérité, il vivifie la grande peinture baroque et l'empêche souvent de tomber dans le pompeux et la grandiloquence, il sert d'aliment à son sens du drame et à son goût du contraste.
Cependant, en Italie et à Rome en particulier, au xviie s. c'est la seconde génération bolonaise qui triomphe, avec des artistes très maîtres de leurs moyens, comme Guido Reni, le Dominiquin, l'Albane, le Guerchin ; ils n'ignorent pas l'apport du Caravage et entretiennent l'héritage des Carrache, mais avec une ampleur nouvelle et en servant une iconologie qui est incontestablement baroque, c'est-à-dire que leurs tableaux ou leurs fresques évoquent le monde irréel des saints ou des héros entourés de leurs symboles dans des attitudes tourmentées et extatiques.
DÉCORS PEINTS ET TROMPE-L'ŒIL
Un des grands inventeurs du baroque occupe à Rome une place essentielle dans le décor peint. Maître des plafonds en trompe-l'œil, Pierre de Cortone fait éclater sous les voûtes du palais Barberini (le Triomphe de la Divine Providence, 1636-1639) les fanfares de sa peinture joyeuse, témoignage à la fois d'une imagination toujours en éveil et d'un sens de la couleur qui n'est plus désormais l'apanage des Vénitiens.
Giovanni Lanfranco (1582-1647) offre degrandes compositions (coupole de Sant'Andrea della Valle). Plus tard, Carlo Maratta (1625-1713), le Père Andrea Pozzo (1642-1709) [voûte de Sant'Ignazio], Luca Giordano (1632-1705) attestent la vitalité de cette peinture.
Il restera au xviiie s. à explorer des formules plus originales, tant il est vrai que l'art baroque se prête aux mutations sans perdre de sa force créatrice. L'intérêt se déplace quelque peu en dehors de Rome, où l'un des plus doués est un Français acclimaté à la ville des papes, Subleyras.
CHRONIQUES ET VUES DE VENISE, DE TIEPOLO À CANALETTO
Venise retrouve une nouvelle splendeur avec Giovanni Battista Piazzetta (1682-1754), mais surtout avec Giambattista Tiepolo, qui porte la peinture baroque à l'un de ses plus hauts degrés par la fantaisie inépuisable de ses compositions, animées d'une allégresse qui sait traduire des nuances subtiles, servies par un don de la couleur légère et transparente.
La Venise dorée du xviiie s., d'une décadence où les fêtes se succèdent, est célébrée par le pittoresque de Pietro Longhi, la précision du Canaletto, la poésie mélancolique de Guardi.
INQUIÉTUDES D'ARTISTES
Le baroque n'est pas insensible au paysage, mais il y ajoute une intention ou une atmosphère : Salvatore Rosa (1615-1673), à Naples, et surtout Alessandro Magnasco (1667-1749), à Gênes, évoquent un monde fantastique et crépusculaire, par quoi le baroque rejoint une sorte de préromantisme ; cela est vrai aussi pour les ruines antiques, qui témoignent de quelque nostalgie sous le pinceau de Giovanni Paolo Pannini, et d'une sorte de grandeur tragique dans les planches de Piranèse, qui délibérément aborde le monde du rêve, sinon du cauchemar.
Le xviiie s. baroque ajoute donc quelque délire aux outrances précédentes, et la personnalité inquiète de l'artiste ose davantage se livrer, comme pour annoncer la fin d'un monde qui est celui de l'Ancien Régime.
La vague d'anticléricalisme, la déconfiture de l'ordre jésuite donnent à l'art une teinture plus laïque, allant parfois jusqu'à la dérision, mais si ce monde baroque chancelle, il n'en reste pas moins fidèle à ses recettes, même quand la confiance et la vitalité le quittent.
3. LE BAROQUE IBÉRIQUE
L'Espagne, au xviie s., est une grande nation, et un pays riche de l'or drainé du Nouveau Monde. Ce substrat économique a son importance, de même que l'élan pour la propagation de la foi et la réforme catholique : l'art baroque se manifeste volontiers à l'intérieur des églises par la profusion des retables qui magnifient non seulement le maître-autel mais les autels mineurs. La basilique de Saint-Jacques-de-Compostelle dresse sa haute façade dite de l'Obradoiro tel un véritable retable de pierre démesurément agrandi. On retrouve au Portugal cette tendance à transposer sur les façades les retables des intérieurs.
3.1. SCULPTURE : RETABLES ET « PASOS »
LES RETABLES
Le retable n'est pas une invention baroque. Le gothique flamboyant et la Renaissance en avaient largement usé, mais il apparaît bien comme une des formes privilégiées du système baroque, parce qu'il est conforme à la notion d'apparat, de scénographie, de séduction par les sens.
Le retable baroque possède une physionomie propre : véritable architecture avec souvent des ordres superposés, colonnes, pilastres, frontons, niches, consoles, l'accent volontiers mis sur un grand tableau au centre de la composition. De plus, l'or se répand avec insistance : bronze doré, bois doré, stuc doré.
Des grands retables « plateresques », on passe aux immenses constructions baroques, fourmillant de statues et de statuettes, de motifs décoratifs inlassablement répétés et souvent végétaux, le tout dans une débauche ornementale où l'œil s'égare.
LES « PASOS »
Typiques de l’art baroque espagnol, les pasos sont des statues de grande taille qui représentent les personnages de la passion du Christ. Ils sont destinés à être portés dans les processions de la semaine sainte. L'appel à la sensibilité et à la sentimentalité y atteint à une violence et à un réalisme presque insoutenables.
Les personnages prennent des attitudes pathétiques. L'illusion du réel est poussée à l'extrême, les statues sont peintes en couleurs naturelles, les yeux pleurent des larmes presque vraies, cheveux et vêtements sont souvent véritables. Cet expressionnisme n'est pas toujours artistique, cependant les meilleurs sculpteurs de l'époque (Montañés, Alonso Cano, Pedro de Mena) sculptent des pasos, et ce genre atteint parfois à la grandeur tragique. Le goût du pathétique, sinon de l'horreur, appartient bien au monde baroque, et il imprègne aussi toute la grande sculpture, qui doit quelque chose aux pasos.
3.2. LA PEINTURE ESPAGNOLE
Le xviie s. est la grande époque de la peinture espagnole. Mais il serait abusif de la qualifier de baroque, sans y regarder de plus près, tant les artistes majeurs de l'époque expriment une personnalité qui leur est propre.
Chez certains, comme Zurbarán, l'austérité, la gravité, une certaine économie de moyens semblent aux antipodes du baroque. Vélasquez reste fidèle à un classicisme épris d'équilibre dans la composition et de pondération dans les gestes, mais sa lumière, sa couleur doivent beaucoup à l'Italie, il est vrai autant sinon plus aux Vénitiens qu'aux grands baroques.
José de Ribera, avec ses anatomies tourmentées, pantelantes, mérite sans doute l'épithète de baroque, d'un baroque impressionné par le caravagisme, mais il est plus italien qu'espagnol, son principal atelier étant à Naples.
Sont baroques aussi dans leur goût du mystère et leur hantise de la mort les peintres andalous Alonso Cano et Valdés Leal, davantage probablement que Murillo, qui préfère la sentimentalité au pathétique.
3.3. ARCHITECTURE ET DÉCOR SCULPTÉ
LE BAROQUE CHURRIGUERESQUE
Au xviiie s., le baroque espagnol est communément désigné sous le nom de « style churrigueresque », en raison de l'importance attribuée à la famille des Churriguera, dont le représentant le plus important fut José, souvent aidé par ses deux frères. Ce sont des sculpteurs de retables d'origine catalane, qui se font parfois architectes. Un peu abusivement, on leur fait honneur de la dernière phase, particulièrement profuse, des décors intérieurs d'église, qui se traduit par une sorte de grouillement dévorant la structure. En fait, José Churriguera (retable de San Esteban, Salamanque) a le souci d'articuler fortement son décor, ce qui ne sera pas le cas de certains de ses émules.
Les Figueroa jouent en Andalousie le rôle tenu par les Churriguera dans le nord de la Péninsule. C'est au xviiie s. seulement que Séville s'ouvre grâce à eux au baroque. Francisco Hurtado Izquierdo (1669-1725) construit et décore d'extraordinaires sacristies et chapelles du saint sacrement, avec des matières précieuses et une virtuosité dans les assemblages de motifs géométriques qui rappelle les contacts profonds de l'Espagne avec l'art musulman (chartreuse d'el Paular).
À Tolède, le célèbre « transparent » de la cathédrale est conçu selon un principe berninien : la source lumineuse, invisible, diffuse une clarté mystérieuse avec des effets de contre-jour, une Cène sculptée semble planer dans les airs, portée par une gloire et un grouillement d'anges.
Pedro de Ribera (vers 1683-1742) et Teodoro Ardemans (1664-1726) travaillent pour la Cour et les grands d'Espagne, et eux aussi aiment les accumulations, par exemple dans leurs catafalques, qui sont encore plus chargés qu'en Italie. Car, dans l'art baroque, la Mort, elle aussi, devient spectacle, avec tout un répertoire macabre.
L'ART MONARCHIQUE
Le règne de Philippe V (1700-1746) introduit l'influence française, plus sensible dans le mobilier et les jardins que dans les constructions et la peinture. C'est d'ailleurs l'architecte italien Juvara qui est appelé par le roi d'Espagne pour son palais de Madrid. L'aspect le plus baroque de la statuaire des jardins de Versailles et de Marly est quant à lui repris dans le parc du palais de la Granja, par Ardemans. On fait appel à des artistes étrangers, Italiens, Français et même Allemands tels Konrad Rudolf et, à la cour de Portugal, João Frederico Ludovice, alias Ludwig (actif entre 1701 et 1752), constructeur de l'énorme monastère de Mafra.
3.4. LE BAROQUE COLONIAL
En traversant l'Atlantique, le baroque ibérique subit de nombreuses mutations. Il devient le baroque « colonial », qui lui-même présente, selon la région et selon l'époque, des aspects divers.
CARACTÉRISTIQUES
On peut noter quelques constantes : dans l'architecture religieuse, qui prédomine plus encore que sur le vieux continent, la préférence est donnée à la façade encadrée de deux tours, qui s'écarte donc du type romain et reprend un parti gothique ; sur les croisées de transept, on retrouvera souvent une coupole qui rappelle les « cimborios » espagnols plus que les dômes italiens.
ARTISTES
Les architectes et maîtres d'œuvre viennent souvent de la métropole, de l'Andalousie surtout, où se trouvent les ports ; mais l'internationalisme des ordres missionnaires explique la présence d'artistes étrangers : Italiens, Allemands, Flamands entre autres, si bien que l'art de l'Amérique latine n'est pas uniquement la transposition de l'art espagnol et que, à la fin du xviiie s., on y trouve des échos assez inattendus du rococo germanique.
Enfin, les colons s'installent chez des peuples qui ont des traditions artistiques parfois fort originales et y recrutent des artisans : la production des maîtres autochtones ne doit pas tout à l'art occidental, et, dès le xviie s., l'art indigène transparaît dans le décor.
PARTICULARITÉS RÉGIONALES
L'art baroque d'Amérique se différencie bien par rapport à celui de l'Europe, et il fleurira plus longtemps, car les colonies américaines se replieront sur elles-mêmes au moment où les nations occidentales entreront dans l'ère des bouleversements révolutionnaires, et alors que l'assaut du néoclassicisme n'aura pas eu le temps de se répercuter outre-Atlantique.
Mexique
Au Mexique (Nouvelle-Espagne), les architectes du xviie s. aiment dresser à la façade des églises (Puebla, Oaxaca, Mexico) trois ordres de colonnes, mais les membres d'architecture sont entièrement recouverts d'une sorte de tapisserie sculptée qui semble ronger la pierre. En très faible relief, cette ciselure se compose de motifs géométriques ou floraux, généralement très stylisés et d'une exécution assez grossière ; elle a tendance à envahir tout, intérieur comme extérieur, taillée dans la pierre, modelée dans le stuc, et l'on a pensé y retrouver le souvenir de la sculpture précolombienne. Il est certain qu'à des ornements sans patrie se mêlent des motifs et des figures autochtones.
Au début du xviiie s. s'épanouit avec insistance la mode des « estipites », tant aux façades d'églises que dans les retables. Il s'agit de sortes de balustres très compliqués qui font fonction de colonnes ; l'origine est métropolitaine, mais le développement obsédant de la formule appartient bien au Nouveau Monde.
Certaines églises, Taxco, Ocotlán, Tepotzotlán, se distinguent par un élan irrésistible en hauteur.
Amérique centrale
En Amérique centrale, on trouve le « baroque des tremblements de terre », tout en largeur et avec une tendance à exagérer l'épaisseur des membres d'architecture pour bien s'ancrer dans le sol instable. Une ville baroque entière, Antigua (Guatemala), fut abandonnée et subsiste à l'état de ruine émouvante.
Amérique du Sud
En Équateur, la présence indigène est plus sensible qu'ailleurs, notamment dans les ateliers de sculpture très actifs de Quito. Le décor doré submerge totalement l'intérieur des églises.
En Colombie, on note le contraste entre les villes de la côte, à l'architecture sévère et fermée – en raison des corsaires –, et la richesse des villes de l'intérieur, comme Popayán et Tunja.
Au Pérou et en Bolivie, c'est d'abord l'ère des grandes cathédrales, Sucre, Lima, un peu lourdes et austères. Puis, à Lima, l'architecture se fait plus aimable, et, au xviiie s., naît un art civil séduisant, avec transposition naïve des modes d'Occident.
Dans les villes de la montagne, on retrouve des édifices lourdement étalés en largeur et ce tapis de sculptures en relief plus ou moins faible qui recouvre tout et même les colonnes avec, ici, une préférence pour le motif végétal très stylisé (Cajamarca, Arequipa, Juli, Potosí). Les figures humaines ont plutôt la rigidité abstraite des reliefs romans que la vivacité du baroque ; les idoles précolombiennes ne sont pas loin.
Dans les pays de La Plata, riches en main-d'œuvre, on retiendra le nom d'un architecte fécond, le Père Andrea Blanqui (?-1740) [cathédrale de Córdoba en Argentine].
3.5. LE BAROQUE AU PORTUGAL ET AU BRÉSIL
Au Portugal, il existe un type de façade baroque pour les églises, en largeur, avec des frontons ou des pignons ondulants et volontiers interrompus, le contraste entre le crépi blanc du mur nu et le granit des bandeaux soulignant baies et arêtes. Ce type connaît une fortune particulière dans le Nouveau Monde, au Brésil.
La mode de la céramique, de l'« azulejo » si chère au Portugal, se transporte aussi outre-Océan.
Au Portugal encore, l'art de cour, ou plus exactement l'urbanisme monarchique se manifeste avec éclat à la faveur d'une catastrophe, le tremblement de terre qui détruit Lisbonne en 1755 : le ministre Pombal veut de l'ordre et de vastes perspectives (place du Commerce).
Le domaine portugais, au Brésil, est très particulier. Pas de réminiscences précolombiennes, et une invention, tant dans le plan que dans l'articulation intérieure de l'église, si féconde, surtout au xviiie s., qu'elle s'apparente parfois au rococo germanique. L'essor artistique, ici plus tardif, date de la fin du xviie s., à la suite de la découverte de richesses minières prodigieuses (Minas Gerais). Les Portugais se soucient davantage de la beauté de leurs villes d'outre-mer (il y a dans l'ancienne capitale Salvador, à Recife, à Ouro Prêto un véritable effort d'urbanisme).
L'architecture rappelle d'abord celle de la métropole, puis raffine, fait onduler les murs, brise les arcs et les frontons, combine les ovales.
À l'intérieur, une sculpture sur bois délirante, la « talha », recouvre tout, faite de motifs tantôt naturalistes, tantôt abstraits.
À la fin du xviiie s. surgit un artiste indigène étrange et inspiré, l'Aleijadinho, à la fois architecte et sculpteur, apportant un témoignage ultime de la vitalité, mais aussi de l'autonomie de cet art baroque de l'Amérique latine qui, tant par le nombre que par la variété et parfois la qualité de ses productions, a conquis une place éminente.
4. LE BAROQUE D'EUROPE CENTRALE
L'autre grande aire d'expansion du baroque, celle d'Europe centrale, est encore plus diversifiée que le domaine ibérique. Là aussi des traditions locales et des conditions historiques interfèrent, expliquent les différences d'évolution.
L'ensemble le plus important est constitué par les territoires héréditaires des Habsbourg, l'Autriche et la Bohême. Dans le Saint Empire germanique, Bavière, Palatinat, restés catholiques, sont gagnés par le baroque, comme les principautés laïques ou ecclésiastiques de Souabe ou de Franconie, jusqu'au lac de Constance et avec des incursions en Suisse. Bien que protestante, la Saxe, dont l'Électeur est catholique, donne des gages au baroque, de même que la Pologne, très tournée vers l'Occident et Rome.
Les Pays-Bas catholiques, sous la domination politique de l'Espagne puis de l'Autriche, sont un cas à part, un des pôles du baroque international, puisque Anvers est la patrie de Rubens, dont l'importance se compare à celle du Bernin.
4.1. LE BAROQUE DES PAYS-BAS
Les Pays-Bas catholiques (Belgique actuelle), d'autant plus « romains » qu'ils sont en contact avec l'âpre essor protestant de la Hollande, sont une terre d'élection pour les Jésuites. Rubens est un de leurs protégés, tout comme le Bernin, et cela n'est pas sans rapport avec le succès de sa carrière internationale.
PEINTURE : RUBENS
Rubens doit beaucoup à l'Italie, mais il met au point, génialement, un art personnel par lequel il domestique l'histoire sainte et la mythologie en des compositions étonnantes de dynamisme. Peinture éminemment baroque, qui ne s'oppose pas pour autant aux conquêtes de la Renaissance et du maniérisme, mais prétend bien plutôt les compléter.
ARCHITECTURE
Imprégnées par le gothique flamboyant, les provinces de Flandre et de Brabant n'ont pas adopté telles quelles les formules italiennes de construction, mais ont cherché des compromis. Les églises construites alors, Saint-Charles-Borromée à Anvers, Saint-Loup de Namur, Saint-Michel de Louvain, Notre-Dame d'Hanswijk à Malines, gardent une partie de la structure gothique, l'élan en hauteur et l'étroitesse des vaisseaux à bas-côté, avec des façades où le type romain est curieusement comprimé en largeur pour paraître plus élancé et correspondre à la structure intérieure. Le décor sculpté est surabondant et manque de grâce.
SCULPTURE
À la fin du xviie s., les Pays-Bas s'endorment quelque peu, et les nombreux artistes formés dans leurs ateliers doivent s'expatrier pour trouver des commandes. Jusqu'à la fin du xviiie s., ils seront une pépinière de sculpteurs d'un remarquable savoir-faire, très marqués par Rome (où Duquesnoy fut un maître).
Restés dans leur pays, les Lucas Faydherbe (1617-1697), Artus Quellin le Jeune (1625-1700), Hendrik Frans Verbruggen (1655-1724) avaient mis au point un type de chaires à prêcher, dans lesquelles le goût flamand pour la nature se mêle au pathétique baroque en d'extraordinaires compositions où se tordent des branches et des racines encadrant des groupes pittoresques.
4.2. LE BAROQUE GERMANIQUE
La grande époque du baroque germanique est le xviiie s. Au siècle précédent, en effet, la guerre de Trente Ans épuise les ressources de tout le pays, et c'est seulement dans la dernière décennie qu'une intense fièvre de construire saisit abbés et évêques, princes petits et grands.
Cependant, séparée seulement par les Alpes, qui n'ont jamais dressé une barrière infranchissable aux courants artistiques, l'Italie a déjà pénétré les régions du Danube par l'intermédiaire de ses architectes et de ses décorateurs – Santino Solari ou Solario (1576-1646) à Salzbourg (cathédrale), Carlo Lurago (vers 1618-1684) à Passau (cathédrale), Enrico Zuccalli (vers 1642-1724) à Munich (église des Théatins). Le parti adopté pour ces édifices, variation sur le thème du Gesù de Rome, est repris par une école de maîtres maçons autochtones, dont le centre est situé dans le Vorarlberg (dans l'ouest de l'Autriche, près de la Suisse). Ils construisent des églises d'un bel équilibre intérieur, au décor en stuc un peu lourd (Obermarchtal en Souabe).
Dans les domaines des Habsbourg, la Bohême va montrer la voie.
PRAGUE
Dès la fin du xviie s., Prague devient une des plus prestigieuses villes baroques, tant par ses palais, où interviennent d'abord des Italiens (Francesco Caratti [actif entre 1652 et 1677] au palais Cernin), que par ses églises : le berninisme est introduit par un Bourguignon, Jean-Baptiste Mathey (vers 1630-1695) [église des Croisés à Prague et château de Trója].
Le grand créateur du baroque bohémien, Christoph Dientzenhofer, vient de Bavière ; ses deux frères Georg et Johann, son fils Kilian Ignaz comptent aussi dans l'histoire de l'architecture. Christoph Dientzenhofer conjugue les leçons de Guarini et de Borromini et tire des combinaisons ingénieuses et inédites du voûtement et de l'élévation de ses édifices, dont l'espace intérieur est diversifié à l'infini et assoupli par l'emploi préférentiel de la ligne courbe (Saint-Nicolas de la Malá Strana, à Prague ; église du couvent de Břevnov).
En province, un artiste curieux, Giovanni Santini Aichel (1667-1723), construit des églises d'abbaye et de pèlerinage, n'hésitant pas à reprendre la voûte à nervures.
VIENNE
L'autre capitale des Habsbourg, Vienne, une fois débarrassée de la menace ottomane, se couvre de palais et d'églises grâce aux talents rivaux de Johann Bernhard Fischer von Erlach (1656-1723) et de Johann Lukas von Hildebrandt (1668-1745), le premier plus hanté par la majesté de l'antique, comme dans la grande église votive de Saint-Charles-Borromée, le second plus mouvementé (palais Kinsky, Belvédère).
En province, les grandes abbayes se reconstruisent, et Jakob Prandtauer (1660-1726) dresse fièrement au-dessus du Danube la façade contrastée de Melk.
Si la peinture, à quelques exceptions près, n'est pas au niveau de ces créations architecturales, la sculpture par contre est représentée par des talents vigoureux et personnels, Ferdinand Maximilián Brokov (1688-1731) et Mathias Braun (1684-1738) en Bohême, G. Raphael Donner (1693-1741) en Autriche.
ENTRE LES ALPES ET LE DANUBE, ABBAYES ET ÉGLISES DE PÈLERINAGE
Au début du xviiie s., la Franconie (région aujourd'hui englobée dans la Bavière) profite de la leçon de la Bohême voisine. Johann Dientzenhofer (1663-1726) déploie, comme son frère, les arcs obliques, les triangles sphériques et les tribunes ondulantes à l'église abbatiale de Banz, tandis qu'au château de Pommersfelden il imagine l'escalier baroque le plus monumental avant ceux de B. Neumann.
Toute l'Allemagne du Sud entre Alpes et Danube se couvre alors d'églises, dont ces églises de pèlerinage qui adoptent volontiers des plans insolites, variations sur le plan centré, et des présentations intérieures spectaculaires. Les principaux créateurs sont les frères Asam, décorateurs plus qu'architectes (Weltenburg, Rohr, église Saint-Jean-Népomucène de Munich), Dominikus Zimmermann (1685-1766), introducteur avec son frère de motifs rococo à Steinhausen et à Wies, Johann Michael Fischer (1692-1766), plus sévère (Zwiefalten, Ottobeuren).
Mention spéciale à J. Balthasar Neumann, génial inventeur de formes (Vierzehnheiligen, Neresheim), dont l'œuvre civile est tout aussi importante (châteaux de Werneck et de Würzburg, escaliers monumentaux de Bruchsal et de Brühl).
RÉSIDENCES PRINCIÈRES
Le xviiie s. voit princes, laïcs et ecclésiastiques rivaliser pour se faire construire des résidences qui s'inspirent de Versailles, de Marly ou de Trianon, en vérité plus par le traitement du site que par la structure architecturale et le décor. C'est toutefois un homme de formation française. François de Cuvilliés (1695-1768), qui prend la première place à Munich auprès de l'Électeur de Bavière, important une rocaille exquise (Amalienburg à Nymphenburg, théâtre de la Résidence). Nicolas de Pigage (1723-1796) et Philippe de La Guêpière (vers 1715-1773), également de formation française, jouent le même rôle respectivement auprès de l'Électeur palatin et du duc de Wurtemberg.
Plus au Nord et à l'Est, la Saxe protestante présente ce paradoxe de posséder le plus baroque des ensembles d'architecture civile: le Zwinger à Dresde, dont Matthäus Daniel Pöppelmann (1662-1736) donna les plans et dont l'exécution est due pour une large part au grand sculpteur Balthasar Permoser.
EN POLOGNE
Un peu en marge de ce vaste domaine, la Pologne connaît les mêmes phases : au xviie s., introduction du berninisme romain, avec des Italiens comme Jan et Jerzy Catenaci et un Hollandais, Tylman z Gameren (vers 1632-1706). Au xviiie s., sous les rois saxons, les grandes abbayes se reconstruisent selon des modèles germaniques, et les magnats se font bâtir des résidences à la campagne. Les souvenirs baroques restent nombreux à Cracovie.
PEINTURE
Parmi les peintres, le seul digne d'être cité a transposé Tiepolo dans une gamme acide, c'est l'Autrichien Franz Anton Maulbertsch. En réalité, la médiocrité des fresquistes rococo se fait oublier dans la symphonie créée par les lignes ondulantes de l'architecture, les jeux complexes des ornements de stuc, des statues, des colonnes et des balustrades. Et tout cela dans la clarté que les larges et hautes baies diffusent sur les couleurs tendres, rose, vert pâle et bleu azur d'un monde où la mystique se veut allègre, et qui évoque, pour le fidèle émerveillé, plus l'Église triomphante du paradis des saints et des anges que l'Église militante et souffrante.
5. L'EUROPE « ANTIBAROQUE »
Il serait injuste de limiter le baroque aux seules terres où il a maintenu fermement son emprise pendant deux siècles.
5.1. FRANCE
Il existe une France baroque, déjà sous Louis XIII, dans la peinture, avec Simon Vouet, et dans la sculpture (Sarazin, les Anguier) plus que dans l'architecture, où le besoin du raisonnable se satisfait mieux des règles catégoriques du classicisme. Les rapports avec l'Italie sont constants, et Mazarin attire beaucoup de compatriotes. Le Mansart de la Visitation et du Val-de-Grâce, à Paris, est certes baroque, tout comme Le Vau au Collège des Quatre-Nations (Institut).
Dans la sculpture, le courant baroque resurgit, puissant, à la fin du xviie et pendant la première moitié du xviiie s., avec Coustou, Lemoyne, Adam, Slodtz, Pigalle ; un des plus grands artistes baroques, Puget, voit ses œuvres admirées à Versailles, et aux meilleures places.
En peinture, Jouvenet, A. Coypel, Boullongne, F. Le Moyne, Van Loo font de la grande ou moins grande peinture baroque, et même Le Brun dans son génie souple et multiple, dans son imagination dynamique mérite le titre de baroque.
Quant à l'art rocaille qui règne en France jusqu'au milieu du xviiie s., il ressortit au système baroque, et montre que la France, soi-disant cartésienne, n'est pas toujours rebelle à l'effusion et à la fantaisie.
5.2. HOLLANDE ET ANGLETERRE
On trouverait sans peine des traces du baroque, et même davantage, dans les monuments et les œuvres de pays qui se sont gardés d'une forme d'art venue de la Rome papiste, à savoir la Hollande et l'Angleterre. Protestante et puritaine, cette dernière est peut-être celle qui résiste le plus à la pénétration du baroque, dont elle accueille toutefois quelques œuvres : les plafonds de la salle des Banquets de Whitehall sont commandés à Rubens, après que l'architecture du bâtiment a été confiée au très classique Inigo Jones.
Après l'incendie de Londres de 1666, sir Christopher Wren reconstruit 51 églises aux plans très inventifs et aux clochers évoquant le style de Borromini, et, de 1675 à 1710, il élève la nouvelle cathédrale Saint-Paul, dont les lignes générales et l'espace intérieur rappellent, avec plus de modération, ceux d'églises romaines.
5.3. PRUSSE
La Prusse, qui sous Frédéric II le Grand (1740-1786) se livre à la « francomanie », est trop proche du domaine baroque pour ne pas être touchée ; en vérité, le sculpteur-architecte de Frédéric Ier, Andreas Schlüter , est un des grands artistes baroques du temps, et Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff (1699-1753), ailleurs de tendance palladienne, construit pour Frédéric II le château de Sans-Souci dans le meilleur goût rococo.
5.4. RUSSIE
Enfin, à l'est, la Russie accueille Bartolomeo Francesco Rastrelli (vers 1700-1771), architecte italien qui sans trop de peine adapte le baroque à l'architecture des tsars (palais d'Hiver de Saint-Pétersbourg, monastère de Smolnyï).
Une grande partie de l'Europe a donc subi la loi du baroque, système d'idées et système esthétique qui ne cédera qu'à l'apparition de l'esprit de contestation expérimentale, donc de recherche de nouvelles valeurs, dans la seconde moitié du xviiie s.
Mais il est assez paradoxal à première vue que cette mentalité qui se prétend révolutionnaire suscite, plutôt qu'une mutation dans le système des arts, la reprise d'un classicisme refroidi dans la tyrannie de ses règles et qui peine à se revivifier dans l'archéologie des « antiquaires ».